Cliquez ici >>> 🎨 texte de jacques prévert sur le temps qui passe

Ilécrit des pièces de théâtre. Son anticléricalisme, parfois violent, est souvent occulté par le public, au profit de ses thèmes sur l’enfance et la nature. Paroles. Paroles est un recueil de poèmes de Jacques Prévert (1900-1977) publié pour la première fois en 1946. Les textes de Jacques Prévert ont d’abord été publiés isolément dans diverses revues depuis les années Apeine la journée commencée et il est déjà six heures du soir. A peine arrivé le lundi et c'est déjà vendredi. et le mois est déjà fini et l'année est presque écoulée et déjà 40, 50 ou 60 ans de nos vies sont passés. et on se rend compte qu’on a perdu nos parents, des amis. et on se rend compte qu'il est trop tard pour 20poèmes extraits de divers recueils, qui laissent entrevoir la diversité des tons et des styles du poète : amour, politique, fantaisie, tragédieQuartier libre. Au hasard des oiseaux. Un matin rue de la colombe. Voyage en Perse. La plage des sables blancs. Encore une fois sur le fleuve. Droit de regard. Etranges étrangers. Confession publique. Tout s'en allait. Eclaircie. Nuages. L CeCD audio rassemble 20 poèmes de Jacques Prévert extraits des recueils Paroles, Histoires, La Pluie et le Beau Temps, Soleil de nuit et La Cinquième Saison. Chacun de ces poèmes laisse entrevoir la diversité des tons et des styles du poète. Amour, politique, fantaisie, tragédie, tout est sujet à poèmes pour ce jongleur de mots qu'était Jacques Prévert. Lavie est tout de même une chose bien curieuse pour qui sait observer entre minuit et trois heures du matin. - Une citation de Jacques Prévert Site Rencontre Entierement Gratuit Pour Homme. 17 janvier 2009 6 17 /01 /janvier /2009 2332 6. Deburau réinventé "Les Enfants du Paradis et le XIX° siècle de Jacques Prévert" par Mme Danièle GASIGLIA-LASTER. Texte publié dans "L'invention du XIX° siècle II, le XIX° siècle au miroir du XX°", Librairie Klincksieck, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2002. Ce texte a été mis à disposition des internautes avec l'aimable autorisation de Danièle Gasiglia-Laster - Danièle Gasiglia-Laster Critique littéraire ; ses travaux et publications sont axés sur trois auteurs Victor Hugo, Marcel Proust et Jacques Prévert; a présenté, établi et annoté, en collaboration avec Arnaud Laster, l'édition dans la Bibliothèque de la Pléiade des Oeuvres complètes de Jacques Prévert ; auteur de la biographie Jacques Prévert, celui qui rouge de coeur », parue chez Séguier. Le film Les Enfants du paradis a inscrit dans notre mémoire collective une des représentations les plus spectaculaires du XIX° siècle. La proposer à la réflexion dans un colloque comme celui-ci m'a donc paru s'imposer. La matière est si vaste que j'ai décidé de m'en tenir au scénario original de Jacques Prévert tel qu'il a été récemment publié 1, sans prendre en compte l'apport éventuel du réalisateur, des décorateurs, du créateur des costumes mais sans m'interdire néanmoins de recourir au film tourné, les dialogues y présentant des variantes significatives par rapport à ce scénario original 2. Celui-ci commence ainsi Un rideau de théâtre rapiécé, sali, usé, abîmé par le temps. On entend frapper "les trois coups" et le rideau se lève, découvrant un coin du ciel de Paris avec ses nuages calmes et gris... Nous sommes en 1827 ou 1828, peu importe » 3. Voilà, d'emblée, indiqués la thématique — théâtrale —, et la localisation — parisienne. Quant à l'époque, à peine vient-elle d'être précisée, non sans un léger flottement, que cette précision toute relative est présentée comme négligeable. Signe que le scénariste ne prétend pas proposer une reconstitution historique si l'on tente d'ailleurs de relever des repères, on s'aperçoit que la chronologie réelle n'est pas rigoureusement respectée. Deburau est encore un inconnu quand il apparaît. Nous sommes devant le théâtre des Funambules où Anselme Deburau, son père, harangue la foule pour l'inviter à entrer. Puis Anselme se moque publiquement du jeune homme, déverse sur lui nombre d'insultes et le frappe. Selon Jules Janin, premier biographe de Deburau, le père brutalisait bien son fils, maladroit faire-valoir de ses frères à ses débuts 4. Mais si nous étions en 1827-1828, Jean-Gaspard Deburau, dit Baptiste 5, serait déjà célèbre et ne se ferait plus houspiller ainsi par son père... C'est à se demander si 1827-1828 n'est pas une mauvaise lecture d'une dactylographe ou des éditeurs et si Prévert n'avait pas en réalité indiqué 1817-1818, ce qui correspondrait davantage à la date où commence cette première partie 6. Quelque temps après, on assiste à une bagarre entre deux familles rivales de mimes les Deburau et les Barrigni en réalité les Chiarigny7. Cette bagarre, mémorable, eut lieu au théâtre des Funambules en 1819. C'est à ce moment-là que Frédérick Lemaître, dans le scénario, y fait son entrée et demande à y être engagé. Le vrai Frédérick a débuté sur les planches d'un petit théâtre, Les Variétés amusantes, ouvert en 1815 sur le boulevard du Temple, dans un rôle de lion 8. Il fut engagé aux Funambules l'année suivante. Jules Janin ayant écrit que Frédérick y avait commencé », le scénariste imagine, lui, que c'est à la faveur de la démission des Barrigni en plein spectacle, en remplaçant au pied levé l'un d'eux dans le rôle du lion. Ce départ de la famille Barrigni est présenté également comme l'occasion pour Baptiste de courir sa chance, en remplaçant de son côté le Pierrot. La deuxième époque est moins linéaire temporellement. Sur le rideau de théâtre qui, comme celui de la première partie, se lève, on peut lire Des années ont passé... » ou, formule définitive du film Quelques années ont passé ». Nathalie, qui a épousé Baptiste, évoquera, dans un dialogue absent des avant-textes, six années » de vie commune. Nous pourrions donc bien être en 1823, date à laquelle Frédérick commence à répéter L'Auberge des Adrets au théâtre de l'Ambigu. Mais peu de temps après, nous nous retrouvons aux Funambules où est jouée la pantomime du Marchand d'habits, créée, elle, en 1842 et saluée par l'article de Théophile Gautier Shakespeare aux Funambules », dans La Revue de Paris, article auquel il est fait allusion dans le dialogue 9. Puis on assiste à une représentation d'Othello, avec Frédérick dans le rôle titre, que l'acteur a joué à l'Odéon en 1830. D'autre part, le scénario original s'achève sur le meurtre par Deburau du marchand d'habits, inspiré par un fait réel au cours d'une promenade avec sa femme, Deburau et sa compagne furent insultés par un jeune homme ; le mime rossa le voyou à coups de canne et le tua. Cela se passait le 18 avril 1836 et ce serait l'idée de départ des Enfants du paradis 10 Jean-Louis Barrault, qui rêvait d'incarner le mime, ayant raconté à Prévert et Carné le meurtre involontaire commis par Deburau, le procès retentissant qui s'ensuivit, la curiosité de l'entendre pour la première fois, son acquittement. Ce fait-divers et ses conséquences ne seront pourtant finalement pas représentés dans le film. Seul Lacenaire y commet un meurtre. Après une première agression, inspirée des tentatives attestées de tuer des garçons de recette des banques au retour de leur tournée et qui échouèrent, il tue le comte de Montray et se laisse arrêter ; en réalité, cette arrestation se situe en février 1835 et sanctionne l'assassinat de la veuve Chardon. La seconde époque du film concentre donc des faits qui se sont produits entre 1823 et 1842. Somme toute, les sources auxquelles Prévert et Carné ont puisé sont nombreuses. Pour Lacenaire, Prévert s'est servi des mémoires du célèbre assassin, ainsi que de divers documents publiés sur son procès, ses conversations en prison et ses oeuvres 11. Le personnage semble l'avoir intéressé, bien avant la rédaction du scénario. Un texte, d'abord publié en 1937 puis repris dans Paroles, Le retour au pays » 12, en témoigne il prend pour point de départ la prédiction funeste faite à Lacenaire par son père – Tu périras sur l'échafaud » – qui aurait, selon le criminel lui-même, conditionné toute sa vie. L'intrusion de Lacenaire dans la loge de Frédérick est inspirée par une de ses conversations en prison rapportée dès 1836. Lacenaire demande à Frédérick de lui prêter de l'argent, en lui disant que c'est une question de vie ou de mort ». L'acteur, endetté mais prodigue, partage avec cet inconnu une somme qu'il a gagnée à la loterie. Frédérick veut alors en savoir un peu plus sur l'étrange personnage à qui il vient de rendre ce service ... entre nous, lui demande-t-il, cette histoire d'argent, c'était vraiment une question de vie ou de mort ! » Lacenaire répond Oui, pour vous». Or, le vrai Lacenaire raconte être allé trouver Scribe et lui avoir dit Je n'ai pas le sou, voulez-vous me prêter un peu d'argent ? M. Scribe prêta, commente Lacenaire [...] Si Monsieur Scribe m'avait refusé Monsieur Scribe ne ferait plus aujourd'hui ni opéras ni comédies» 13. Les circonstances de l'assassinat du comte de Montray, inventé par Prévert, sont, elles, puisées dans une déclaration du criminel. Interrogé par la police sur ce qu'il avait fait le jour de la tentative d'assassinat d'un caissier, le vrai Lacenaire avait dit avoir été aux Bains Turcs. C'est dans ce décor pittoresque que le personnage du film trucide le comte. Marcel Herrand qui incarne le personnage dans le film, a bien fait passer la complexité de cet homme étrange, qui soigne son apparence mais qui, malgré son allure posée, distinguée et polie, son air indifférent à tout, peut se jeter soudain sur sa proie et la tuer. Une jeune femme, Garance, est la seule à ne pas avoir peur de lui et à se moquer ouvertement de ses idées sinistres, de sa fatuité. L'orgueil du personnage est tout à fait conforme à ce qu'était celui de l'homme réel. En prison, il dit à un greffier présent Monsieur Victor Hugo a fait un beau livre sur le dernier jour d'un condamné. Eh bien ! je suis sûr que si on m'en laissait le temps, je l'enfoncerais... Et cependant quoi qu'on en dise, Monsieur Hugo a bien du talent! » 14 Peut-être a-t-on exagéré la part d'identification de Prévert au personnage de Lacenaire 15. Mais on voit aisément dans quelles manifestations de sa révolte il pouvait se retrouver. Les confidences du vrai Lacenaire – Je n'ai pas cru en Dieu, alors que mes professeurs, ma mère, ma bonne nourrice et les prêtres m'en parlaient tous les jours. À 12 ans j'avais déjà beaucoup pensé ; à 12 ans je me croyais un philosophe, un athée [...] ma mère [...] me préférait mon frère » 16 – nourrissent les propos du personnage de Prévert Quand j'étais enfant, j'étais déjà plus lucide, plus intelligent que les autres... "Ils" ne me l'ont pas pardonné, ils voulaient que je sois comme eux... Levez la tête Pierre-François... regardez-moi... baissez les yeux... Et ils m'ont meublé l'esprit de force, avec des livres... de vieux livres haussant les épaules... Pourquoi tant de poussière dans une tête d'enfant ? Quelle belle jeunesse, vraiment ! Mon père qui me détestait... ma mère, ma digne mère, qui préférait mon imbécile de frère et mon directeur de conscience qui me répétait sans cesse "Vous êtes trop fier, Pierre François, il faut rentrer en vous-même ! Avec un petit rire glacial Alors je suis rentré en moi-même... mais je n'ai jamais pu en sortir ! Jolie souricière ! son rire redouble Les imprudents ! Ils m'ont laissé tout seul avec moi-même... et pourtant ils me défendaient les mauvaises fréquentations... ». Prévert se sert donc des déclarations réelles de Lacenaire, les développe, les réécrit, les interprète avec humour. Il fait passer par sa bouche une critique du bourrage de crâne et de la volonté de faire entrer les enfants dans un moule, un rejet de la religion, une insoumission, une ironie qui sont les siens. Mais l'auto-satisfaction de Lacenaire, ce ridicule qu'il a de se prendre toujours au sérieux, son mépris et sa haine des autres, des femmes en particulier, sont autant de signes de la distance qui sépare Prévert du personnage. À trop identifier l'un à l'autre on risquerait de se tromper ainsi, le dédain du drame, qu'affiche celui-ci, et son goût pour le vaudeville, conformes aux goûts exprimés par le véritable Lacenaire, ne sont pas partagés par Prévert. Ses notes préparatoires sur le personnage en apportent la preuve Comme tous les assassins, il "retarde" ... son esthétique est périmée ». Les auteurs du film ont d'abord pensé opposer Lacenaire à Deburau, en montrant leurs procès parallèles. Mais c'est moins Lacenaire, finalement, qui est confronté au mime, que Frédérick Lemaître. Incarnés par eux, deux arts, en apparence très différents, se côtoient. Les deux acteurs sont à la fois amis et rivaux, sur scène comme dans la vie, avec un même besoin d'échapper à la réalité, chacun à sa manière Baptiste rêve et s'invente des bonheurs, Frédérick vit la vie de quantité de personnages. La séquence qui les met pour la première fois en présence montre leur amour commun du théâtre mais aussi la conception différente qu'ils en ont au long monologue de Frédérick, sûr de son talent, répondent les silences de Baptiste, et ses doutes. Frédérick incarné par Pierre Brasseur dans le film, joue tout le temps, même quand il ne joue pas [...] rappelez-vous que ce soir vous avez trinqué avec Jules César ! » dit-il à Baptiste et à quelques clochards invités à leur table. Jules César ou un autre... Charles le Téméraire, Attila, Henri IV, la poule au pot ! [...] Tu ne crois tout de même pas, dit-il à Baptiste, que je vais finir mes jours aux Funambules, dans une peau de lion ! Un lion qui n'a même pas le loisir de rugir... quel supplice quand on a comme moi, là-dedans, grande claque sur le coeur tout un orchestre, toute une ménagerie, tout un monde ! » Baptiste paraît plus modeste Je ne voudrais pas seulement les faire rire, je voudrais aussi les émouvoir, leur faire peur et les faire pleurer... Ce sont de pauvres gens et moi je suis comme eux, je les aime, je les connais, leur vie est toute petite mais ils ont de grands rêves, et je voudrais raconter leurs rêves, leur petite vie, leurs joies, leurs malheurs, leurs petits ennuis ! » Prévert a pu trouver chez Jules Janin cette idée d'une affinité de Deburau avec le peuple ... toujours pauvre comme est le peuple, c'est le peuple que Deburau représente dans tous ses drames ; il a surtout le sentiment du peuple... » 17. Dans ce dialogue, on le comprend, c'est paradoxalement à travers les paroles de Baptiste, le silencieux, que Prévert, plutôt bavard dans la vie, à l'instar de Frédérick, fait entendre sa voix. Alors que Frédérick cherche d'abord, dans le métier d'acteur, un plaisir narcissique, Baptiste veut traduire les émotions des autres, atteindre un public populaire. L'attitude des deux acteurs à l'égard de la femme qu'ils désirent, Garance, est un peu à l'image de leur manière de concevoir le théâtre. Baptiste la regarde, ébloui, sans voix, Frédérick lui lance des tirades de son cru ; une fois de plus, la balance penchera du côté du premier, même si la réussite couronne d'abord le second ; Baptiste aime plus profondément et c'est lui qui sera aimé. Garance incarnée à l'écran par l'inoubliable Arletty réunit en elle plusieurs types de femmes, réelles et imaginaires, du XIX° siècle, ou inventées par des auteurs du XIX°. À 15 ans, Garance s'est retrouvée toute seule et a dû survivre. On devine ce que cela peut signifier. Mais elle a plus d'un Gavroche féminin – du moins dans la Première époque » du film – que de Fantine. Elle a aussi un côté Esmeralda, amie des truands les plus redoutables, à l'aise dans la rue, désirée par tous les hommes, hommes du peuple comme bourgeois et aristocrates. La scène qui a lieu au Rouge-Gorge, taverne mal famée et repaire de Lacenaire et de ses amis, où un aveugle » retrouve la vue, a d'ailleurs quelque ressemblance avec celles de la Cour des Miracles 18. Moins naïve et farouche, cependant, que l'héroïne de Notre-Dame de Paris, Garance hérite aussi de Carmen. La première fois qu'elle aperçoit Baptiste, boulevard du Temple, elle lui jette une fleur. Et celui-ci garde précieusement cette fleur, la serre sur son coeur, la respire, pareil à José qui s'enivre de l'odeur de la fleur jetée par Carmen. Or Deburau, l'amour de Garance, est enfant de Bohème, sans métaphore... Garance n'a pas, toutefois, la férocité de l'héroïne de Bizet, mais comme elle, elle entend bien vivre comme il lui plaît. Le scénariste inverse les rôles traditionnellement impartis à l'homme et à la femme, non seulement au XIX° siècle mais au moment où il écrit son scénario en plein régime de Vichy. Si la mère de Garance semble avoir été une bonne mère, la femme n'est ni réduite à ce rôle ni idéalisée dans cette fonction. Nathalie, qui aura un petit garçon avec Baptiste, utilise à plusieurs reprises son fils comme moyen de chantage. Garance s'offre à Baptiste sans aucun sens de ce que l'on appellerait immoralité ou péché, sans hypocrisie, sans respect des conventions sociales. Et paradoxalement, c'est Baptiste, l'homme, qui est le plus paralysé par ces conventions. Déconcerté par les avances de Garance, il n'ose y répondre et prend la fuite. Cette femme du peuple devient, dans la seconde époque, ce que l'on appelait au XIX° siècle une demi-mondaine. Mais il ne s'agit pas pour Prévert d'en faire une Marguerite Gautier qui devra ou voudra expier ses fautes. Elle n'a pas choisi le luxe par intérêt mais pour échapper à une erreur judiciaire. Garance, comme Prévert, ne s'empêtre pas dans des notions de faute ou de repentir et elle conserve, d'une certaine manière, sa liberté, refusant de dire au comte qu'elle l'aime, s'offrant une nuit avec Baptiste. Garance est donc très en avance sur son temps. Elle est la femme telle que la rêve Prévert elle lui ressemble d'ailleurs comme une soeur, avec sa manière de pratiquer l'ironie, de jouer avec les mots, de défendre sa liberté, d'aimer l'amour. Une représentation de la société de la Restauration et de la monarchie de Juillet ne saurait se passer d'un personnage d'aristocrate et c'est le comte Édouard de Montray incarné par Louis Salou dans le film qui en fait figure. L'auteur de Tentative de description d'un dîner de têtes à Paris-France » 19, dont la conscience de classe n'est plus à démontrer, concentre sur lui ses traits les plus acérés. Dans son scénario immédiatement précédent 20, il avait déjà dressé le portrait d'un moderne et pervers châtelain, emblématiquement prénommé Patrice. Le comte assiste à plusieurs des spectacles qui se donnent, avec quelques-uns de ses amis, parmi lesquels Georges, particulièrement stupide et borné, ce qui permet à Prévert, d'esquisser une symbolique lutte des classes entre les riches spectateurs des avant-scènes et ceux du parterre et du paradis » et d'opposer l'ignorance distinguée des uns à l'authentique et instinctif amour du théâtre des autres. Cette opposition a pu lui être inspirée par l'article de Gautier. Voici ce qu'écrit Gautier ... quel théâtre et surtout quels spectateurs ! Voilà un public ! et non pas tous ces ennuyés aux gants plus ou moins jaunes, tous ces feuilletonnistes usés, excédés, blasés, toutes ces marquises de la rue du Helder, occupées seulement de leurs toilettes et de leurs bouquets ; – un public en veste, en blouse, en chemise, sans chemise souvent, les bras nus, la casquette sur l'oreille... ». Prévert, lui, fait dire au directeur des Funambules ... quel public ! –il est pauvre bien sûr mais il est en or mon public ! Tenez, regardez-les là-haut au paradis. » Et le scénariste décrit ainsi ce public populaire Entassés les uns contre les autres, ils ont tombé la veste, ils cassent la croûte, ils boivent de la bière, ils s'esclaffent la bouche pleine et se donnent de grandes claques sur l'épaule, ils embrassent les filles... ». Enfin, Gautier trouve ce peuple naïf comme un enfant », ce qui pourrait bien avoir suscité en partie le titre du film Les Enfants du paradis, le terme de paradis » pour désigner les spectateurs perchés tout en haut ayant été, selon Marcel Carné, emprunté à Jules Janin 21. L'opposition sociale se double d'une opposition esthétique. Le début de cette deuxième partie montre donc Frédérick Lemaître répétant L'Auberge des Adrets, mélodrame de messieurs Anthieu en réalité Benjamin Antier, Saint-Amand et Polygathe en réalité Polyanthe, et se moquant ouvertement de la pièce face aux auteurs. On sait que le vrai Frédérick Lemaître trouva l'oeuvre insipide et qu'il voulut la corser au lieu de faire de Macaire un personnage sinistre et terrifiant, il décida de le rendre drôle et cynique, de le faire plaisanter en commettant ses crimes, avec la complicité de Firmin devenu Célestin sous la plume de Prévert, qui devait jouer le rôle de Bertrand, compère de Robert Macaire. Ils réservèrent leurs principaux effets pour la première, le 2 juillet, mais leur comportement pendant la répétition inspira déjà, explique Robert Baldick, biographe de Frédérick, de sérieuses inquiétudes aux auteurs et autres acteurs » 22. Au cours de la répétition qui est montrée dans le film, l'acteur, tout en faisant des apartés, suit à peu près le texte de la pièce, pestant cependant contre elle, ce qui provoque la colère des trois auteurs. Leur fureur ne fait que s'amplifier le soir de la première, où Frédérick ne respecte plus du tout leur texte et les ridiculise en public. Ils iront jusqu'à le provoquer en duel. En réalité, il semble qu'ils aient plutôt bien accepté les modifications de Frédérick qui fit de leur oeuvre un immense succès. Mais Prévert déverse sur ces malheureux auteurs quelques-unes des impertinences fameuses de l'acteur. Dans son livre sur Frédérick Lemaître, Silvain raconte, par exemple, que Victor Séjour, mécontent de la manière dont Frédérick interprétait une de ses pièces s'était écrié Vous marchez dans ma prose, monsieur ! », Ça porte-bonheur, monsieur ! » 23 aurait riposté l'acteur ; protestation des auteurs et réplique à peu près identiques dans le scénario. La plupart des réparties canularesques de l'acteur sont cependant inventées par Prévert qui semble s'amuser tout autant que Frédérick Lemaître à ce jeu de massacre. Dans le scénario, Lacenaire applaudit à tout rompre quand Frédérick déclame Vraiment, tant d'histoires pour une trentaine d'escroqueries et cinq ou six malheureux assassinats... [...] Désignant les spectateurs amusés Vous ne croyez pas qu'en cherchant bien, parmi tout ce monde-là », vous n'en trouveriez pas de plus coupables que nous ? » Cette question et les applaudissements enthousiastes de l'assassin disparaîtront du film où il dit seulement à Frédérick qu'il a trouvé le spectacle intéressant ». Faut-il y voir l'effet d'une censure ou d'une autocensure qui aurait reculé, pour un film tourné pendant l'Occupation, devant l'humour noir et terriblement allusif de la réplique originale ? Les scènes qui montrent la désintégration du mélodrame, jusque-là très en vogue, et l'émergence du théâtre de Shakespeare reflètent les débats esthétiques des années 1820. Mais en dehors des représentations données par des troupes anglaises à Paris, on jouait surtout Shakespeare dans la traduction de Ducis. C'est dans cette adaptation, selon toute vraisemblance, que Frédérick Lemaître interpréta Othello, non pas sur le boulevard du Temple 24, mais à l'Odéon, en 1830. Prévert aime trop Shakespeare pour faire dire à l'acteur un texte aussi infidèle que celui de Ducis, au langage châtié, montrer un Othello sans mouchoir ni oreiller pour étouffer Desdémone et qui, dans l'ultime version de Ducis, se laisse même convaincre de l'innocence de sa douce épouse. Il semble partir du principe que si Frédérick Lemaître avait eu à sa disposition une bonne traduction, c'est celle qu'il aurait jouée. Il lui fera donc interpréter Othello dans la traduction de François-Victor Hugo, revue par Christine et René Lalou en 1939 ! Après la représentation, l'acteur et l'assassin ont une discussion très vive avec Édouard de Montray et ses amis qui défendent la sobriété et le bon goût. Frédérick et Lacenaire vantent Shakespeare, le mélange des genres, et disent que le théâtre ne doit pas donner une vision édulcorée de la vie. Ce que suggère aussi le scénariste, c'est que les partisans du classicisme, qui ne veulent pas voir de meurtre sur scène, ne sont pas nécessairement les moins violents dans la réalité. Édouard de Montray rêve de tuer Frederick parce qu'il croit que Garance en est éprise, adore les combtas de coqs, provoque des gens en duel même – et peut-être surtout – quand il se sait le plus fort. Le comte accuse Shakespeare d'avoir débuté dans les lettres en découpant de la viande sur l'étal d'un boucher ! [...] Ce qui expliquerait, ajoute-t-il, le côté bestial et forcené de son théâtre et pourquoi il obtint, de son vivant, tant de succès auprès des débardeurs, des charretiers... » Or, dans Tentative de description d'un dîner de têtes à Paris-France », Prévert avait fait intervenir, au cours d'un repas mondain, un homme, très évidemment son porte-parole, qui venait troubler la réception en parlant de la misère du peuple et en annonçant une révolution. Et cet homme disait je parle ici pour les grabataires, je monologue pour les débardeurs... » Ce public dédaigné par Édouard de Montray est donc le public que revendique Prévert. De même, certains de ses scénarios, tels ceux du Quai des brumes ou du Jour se lève, ont été qualifiés de nauséeux par une certaine critique. Parce qu'ils donnaient une vision sombre et crue de la réalité sociale. Il s'inscrit ici dans la lignée du combat mené sous l'étendard de Shakespeare, par les romantiques, en particulier Hugo qui rapporte très symboliquement la réputation faite à Shakespeare d'avoir été garçon boucher 25. La violence et la trivialité de Shakespeare, on les avait déjà rencontrées quelques séquences auparavant, dans la pantomime Marchand d'habits, jouée par Baptiste, et comparée par Gautier à du Shakespeare. Il semble qu'en réalité Deburau n'ait pas interprété cette oeuvre. Mais la légende le soutint quelque temps et le scénariste choisit la légende, car elle lui permet une fois encore de défendre un théâtre où les personnages sont en proie aux passions les plus exacerbées et qui transpose la réalité sociale dans toute sa cruauté. Marchand d'habits interprété par Baptiste peut-être ainsi mis en parallèle avec Othello interprété par Frédérick, comme si, chacun des deux acteurs, à sa manière, avait évolué dans le même sens. Par la voix de Frédérick Lemaître, et par celle de Lacenaire, qui semble, cette fois, avoir dépassé son goût pour le vaudeville, Prévert clame l'absurdité des classifications par genres. Il ne rend pas seulement hommage à Shakespeare, il poursuit aussi l'apologie, déjà explicite à travers les propos de Baptiste, d'un théâtre populaire, prenant comme personnages principaux des gens du peuple et pas systématiquement, comme dans les tragédies classiques, ceux qui détiennent le pouvoir ; un théâtre non seulement écrit pour le peuple mais par des hommes du peuple, comme ce nommé Shakespeare à qui l'aristocrate reproche implicitement d'avoir été garçon-boucher. Bien sûr, expliquer la bestialité et la fureur qui règnent dans les drames de Shakespeare par ses origines sociales est dérisoire car il n'est pas besoin d'aller chercher dans les abattoirs le modèle des sanglantes boucheries humaines auxquelles se livrent les tyrans. Mais si Shakespeare a été boucher, c'est une preuve que les bouchers peuvent être géniaux. Tout en faisant écho si nous sommes en 1830, à travers la joute verbale entre Frédérick et Lacenaire, d'un côté, Édouard de Montray et ses amis, de l'autre, au combat qui oppose romantiques et classiques, dans la bataille d' Hernani, par exemple, le scénariste évoque sa propre expérience. Rappelons que de 1932 à 1936, il a écrit des pièces, sketches et choeurs parlés pour le groupe Octobre, troupe d'acteurs amateurs qui allait sur les lieux de travail des ouvriers, dans leurs fêtes et jusque dans les rues, pour encourager les revendications, mettre en scène et ridiculiser les exploiteurs et leurs complices. Ce combat, il n'y a pas renoncé dans les années 1940 mais il le transpose autant que possible sur les écrans de cinéma. Le projet d'un art pour le peuple et miroir du peuple reste le sien, que ce soit dans Lumière d'été ou Les Enfants du paradis et toujours ce peuple trouve en face de lui une caste ou une classe, imbue de ses préjugés comme de ses privilèges. Le scénariste montre donc le XIX° siècle, qu'à l'évidence, il aime, comme un moment d'intense bouillonnement esthétique, où l'art se libère des carcans du passé et ne s'adresse plus seulement à une élite mais aussi – et même surtout – à un public populaire. Que la fiction l'emporte totalement sur l'Histoire ou qu'elle emprunte à l'histoire sans vraiment s'y soumettre, le scénario des Enfants du Paradis porte la trace du temps de son écriture. Une des preuves de ce que j'avance n'a jamais, à ma connaissance, été remarquée. Dans un passage disparu du film, mais connu depuis sa publication dans le numéro de L'Avant-Scène consacré en 1967 aux Enfants du paradis, Lacenaire déclare avoir entendu en rêve au lieu de Marchand d'habits... avez-vous des habits à vend'? », Marchand d'amis... avez-vous des amis à vendre ? » et il demande à l'intéressé s'il est vrai qu'il a ses petites entrées rue de Jérusalem », autrement dit à la préfecture de police ; calomnie », répond le marchand d'habits, aussi vrai qu'on m'appelle... » et Lacenaire de compléter qu'on t'appelle Mouton-blanc, dit le Frisé, dit Vend-la-mèche, dit Treize-à-table ». L'allusion était transparente et se doublait d'une troublante mise en cause, si l'on prend conscience que ce rôle d'indicateur présumé était destiné à Robert Le Vigan, qui abandonna le tournage pour suivre Céline à Sigmaringen... Et quand le paisible Baptiste, jeté à travers le vitrage d'un bistrot par Avril, complice et ami de Lacenaire, se relève et décoche un coup de talon dans le ventre à son agresseur, peut-être représente-t-il allégoriquement le coup de poing qu'il est arrivé à Prévert, pacifiste, de donner aux plus arrogants des collaborationnistes sans parler des coups de main qu'il donna à ses amis résistants 26. Quant à Garance, nous avons vu à quel point elle est à la fois de son siècle et en avance sur lui. Dans ce XIX° siècle mythique, qui s'est forgé à la lecture des romans de Victor Hugo, d'Alexandre Dumas et d'Eugène Sue, la pantomime préfigure le cinéma muet ; le mélodrame subverti et le drame de Shakespeare, le cinéma parlant et ses potentialités. Prévert rend en même temps hommage aux grands interprètes que sont Deburau – ses silences et sa gestuelle –, Frédérick Lemaître – son goût des mots et sa verve – et aux acteurs de cinéma dont ils sont les modèles, comme Chaplin, Barrault, Gabin ou Pierre Brasseur. De même que la scène se fait miroir de la vie et que la vie imite la scène, le XIX° siècle des Enfants du Paradis se reflète au miroir du XX°, et inversement. Danièle GASIGLIA-LASTER 1 Par les éditions Jean-Pierre de Monza avec des présentations et analyses de Bernard Chardère, 1999. 2 Prévert ayant signé le scénario et les dialogues du film tourné, on peut considérer ceux-ci comme le dernier état du texte. 3 Les Enfants du paradis, éditions Jean-Pierre de Monza, 2000, p. 53 4 Jules Janin, Deburau, Histoire du Théâtre à quatre sous pour faire suite à l'Histoire du Théâtre français, Librairie des bibliophiles, 1881, p. 22-24. 5 Il fut probablement surnommé ainsi à cause des rôles de brigands qu'il jouait à ses débuts sous le nom de Baptiste avant d'incarner Pierrot. 6 Mais seules deux pages manuscrites du scénario sont reproduites par les éditions Jean-Pierre de Monza. Il nous est donc impossible de vérifier cette hypothèse. Le scénario publié en 1967 par L'Avant-scène cinéma n° 72-73, donnait aussi les dates 1827-1828 », à partir d'un découpage technique » dactylographié. 7 Au départ, Prévert avait donné à Deburau, Lemaître et Lacenaire des noms fictifs Taburau, Leprince et Mécenaire. Cette déformation de Chiarigny en Barrigni est sans doute un reliquat. 8 Rôle qui figurait dans une pantomime à trois personnages, Pyrame et Thisbé. 9 La Revue de Paris, Nouvelle Série, année 1842, Bruxelles. Cette pantomime de Cot d'Ordan, selon toute probabilité, n'a pas, en réalité, été jouée par Deburau voir Tristan Rémy, Jean-Gaspard Deburau, Paris, 1954, Elle eut un tel succès qu'elle fut adaptée par Catulle Mendès à la fin du siècle. 10 À Nice, en janvier 1943. 11 Entre autres Lacenaire après sa condamnation. Ses conversations intimes. Ses poésies. Sa correspondance. Un drame en 3 actes, Marchant éditeur, 1836, et Lacenaire, ses crime, son procès et sa mort, suivis de ses poésies et chansons et de documents authentiques et inédit, recueillis par Victor Cochinat, Paris, Jules Laisné, 1857. 12 Voir Jacques Prévert, Oeuvres complètes, Gallimard, la Pléiade », 1992, Edition présentée, établie et annotée par Danièle Gasiglia-Laster et Arnaud Laster. 13 Lacenaire après sa condamnation, 14 Lacenaire, ses crimes, 15 J'ai dit moi-même qu'il était une sorte de négatif de Prévert voir Danièle Gasiglia Laster, Jacques Prévert, celui qui rouge de coeur », Séguier, 1994, 16 Lacenaire après sa condamnation, 17 Jules Janin, Deburau, 18 Jacques Prévert adaptera en 1956 Notre-Dame de Paris de Victor Hugo pour Jean Delannoy. 19 Voir Jacques Prévert, Paroles, dans Oeuvres complètes, édition établie, présentée et annotée par Danièle Gasiglia-Laster et Arnaud Laster, 20 lumière d'été, réalisation de Jean Grémillon, tourné d'août 1942 à janvier 1943. 21 Janin indique en effet vous n'aurez à payer que [...] 1 franc aux avant-scènes, si vous êtes riche ; / Et 4 sous au paradis, si vous êtes avare ou pauvre » Deburau, ; et le Cassandre de Prévert Un franc aux avant-scènes si vous êtes fortuné et quatre sous au Paradis si vous êtes pauvre ou momentanément gêné » Les Enfants du paradis, 22 Robert Baldick, la Vie de Frédérick Lemaître, Denoël, 1961, 23 Voir Silvain, Frédérick Lemaître, Librairie Félix Alcan, 1930, p. 153. 24 Dans son étude critique » — si souvent contestable — des Enfants du paradis Nathan, 1992, Geneviève Sellier pense que cette transposition de lieu par Prévert et Carné leur permet d'accréditer l'idée que la vraie culture s'était tout entière réfugiée dans ce lieu synonyme de culture populaire ». 25 Victor Hugo, William Shakespeare, Première partie, livre I, III, dans Oeuvres Complètes, critique, coll. Bouquins », Laffont, 2002, 26 Peut-être aussi la scène transpose-t-elle un énigmatique radio-défenestrage », que Prévert situe en 1942 et ce qui s'ensuivit voir Oeuvres Complètes, LIENS La page du site Presses de la Sorbonne Nouvelle Une critique de l'ouvrage sur le site La Revue d’histoire du XIXe siècle. On croit que c’est facile de ne rien faire du tout au fond c’est difficile c’est difficile comme tout il faut passer le temps c’est tout un travail il faut passer le temps c’est un travail de titan Ah ! du matin au soir je ne faisais rien rien ah ! quelle drôle de chose du matin au soir du soir au matin je faisais la même chose rien ! je ne faisais rien j’avais les moyens ah ! quelle triste histoire j’aurais pu tout avoir oui ce que j’aurais voulu si je l’avais voulu je l’aurais eu mais je n’avais envie de rien rien Un jour pourtant je vis un chien ce chien qui me plut je l’eus c’était un grand chien un chien de berger mais la pauvre bête comme elle s’ennuyait s’ennuyait d’ son maître un vieil Ecossais j’ai acheté son maître j’avais les moyens ah ! quel drôle d’écho oh ! ' quel drôle d’Écossais c’était que le berger de mon chien toute la journée il pleurait toute la nuit il sanglotait ah ! c’était tout à fait insensé l’Ecossais dépérissait il ne voulait rien entendre il parlait même de se pendre J’aime mieux mes moutons chantait-il en écossais et le chien aboyait en l’entendant chanter j’avais les moyens j’achetai les moutons je les mis dans mon salon alors ils broutèrent mes tapis et puis ils crevèrent d’ennui et dans la tombe l’Écossais les suivit ah ! et le chien aussi C’est alors que je partis en croisière Pour-me-calmer-me8-petits-nerfs. Bonjour,C'est toujours le printemps !!! Enfin c'est toujours le "Printemps des poètes" sur le forum Katzelkraft. Cette fois, Dominike et sa réa nous propose de nous inspirer du poète "Jacques Prévert", tout en s'essayant à la légèreté, au trait, au dessin... Arghhhhhhhhhhhhhhhhh Premier problème... Un dessin ? Non mais je ne vous ai jamais montré comment je dessinais ? Vous n'avez rien perdu... La seule chose à retenir, c'est que quand je dessine au tableau pour illustrer un exercice, mes élèves se mettent instantanément à rire... Cela donne une idée assez claire de mes compétences en dessin, n'est-il pas ?Deuxième problème... La légèreté... Disons que par le miracle des devoirs à faire pendant les vacances, j'étais bel et bien tout près du thème de la poésie de Jacques Prévert, mais dans un tout autre registre... Marmotte Numéro Trois est en plein "dossier d'Histoire de l'Art" pour lequel il a choisi le thème "Poésie et Guerre"... Le seul souci est qu'il n'a eu absolument aucun indice, aucun cours, aucun outil pour trouver ce qu'il fallait faire, ni aucune aide pour savoir dans quelles directions partir en exploration... re-ArghhhhhhhhhhhhhhhhA quoi ça rime de donner un travail à faire sans les outils pour le réussir ? M'enfin ce n'était pas le sujet... C'est juste que j'ai du plonger dans son thème pour l'aider un minimum...De fait, nous nous sommes trouvés à approfondir le thème de la guerre dans la poésie, Jacques Prévert est arrivé au milieu de quelques autres... et j'ai été pressentie par l'un des poèmes mais pas des plus légers... J'ai essayé malgré tout d'insérer un peu de "trait" mais ce n'est pas une réussite...J'en ai profité pour utiliser l'idée que Madame Titbelsoeur toute seule venait d'utiliser sur une de ses pages... Il y avait longtemps que je voulais découper dans un catalogue des silhouettes et les utiliser pour réaliser des réserves, mais je n'avais jamais réussi à dépasser ma paresse... Ben oui, quoi, c'est long à découper ces machins-là... Voilà qui est fait, Merci Madame Titbelsoeur toute seule... Donc sur un fond composé de papier journal déchiré et collé, puis enduit d'acrylique, découpage des silhouettes, plaçage sur la page, pulvérisation d'encres, plaçage d'autres silhouettes pour donner un effet de profondeur, pulvérisation d'encres à nouveau... collage des bandelettes de textes, collages, impressions des grilles et de l'oiseau Katzelkraft et écriture de la citation au stylo sinon, l'encre bave... puis enfin collage des oiseaux...Voili-voilà... Merci Mesdames pour les inspirations...Bonne journéeEdit d'un peu plus tard avec mes plus plates excuses pour le défaut d'agrandissement. Le texte que j'ai placé dans cette page est un extrait, la fin, du poème "Barbara", de Jacques Prévert, cette partie-là Il pleut sans cesse sur BrestComme il pleuvait avantMais ce n'est plus pareil et tout est abiméC'est une pluie de deuil terrible et désoléeCe n'est même plus l'orageDe fer d'acier de sangTout simplement des nuagesQui crèvent comme des chiensDes chiens qui disparaissentAu fil de l'eau sur BrestEt vont pourrir au loinAu loin très loin de BrestDont il ne reste rien. Carole Aurouet est universitaire. Elle consacre une large partie de ses réflexions aux relations entre la littérature et le cinéma, et notamment à partir de l’œuvre de Jacques Prévert. A l’occasion de du 40ème anniversaire de sa disparition, cet entretien permet de revenir sur la figure singulière de Prévert et sur le cheminement de Carole Aurouet. Sébastien Rongier Quelle est l’histoire de votre rencontre avec Prévert ? Quelle découverte ? L’école ? Un texte ? Un livre ? Une réplique de cinéma ? Une chanson ? Un passeur ? Un hasard ? Carole Aurouet C’est une rencontre en plusieurs épisodes, des réminiscences comme des instantanés, de plus en plus flous avec le temps… Retour en arrière, première. Je dois avoir 7 ans. Rien de très original pour les enfants de ma génération, j’ai rencontré Jacques Prévert à l’école primaire, apprenant ses poèmes en classe. Puis, je l’ai perdu de vue. Retour en arrière, deuxième. Je dois avoir 18 ans. Je saisis Paroles dans la bibliothèque familiale, l’exemplaire avec en couverture la photographie du graffiti de Brassaï et les lettres manuscrites, couleur sang, qui gouttent. Du recueil tombe une copie double de petit format, à petits carreaux 5x5. Une fois le papier un peu jauni déplié, apparaît une écriture enfantine tracées au crayon de grosses lettres, hésitantes, tremblotantes même, tentent de se poser sur les lignes et interlignes. Pour faire le portrait d’un oiseau » et Le Cancre » sont les deux poèmes recopiés. Une consigne du maître ? Une initiative personnelle ? Sans doute la seconde hypothèse est-elle la plus vraisemblable, puisqu’un devoir de ce genre aurait été accompli dans un cahier, non sur une feuille volante. Retour en arrière, troisième. J’ai 22 ans. Je débute un Master 1 de Lettres à l’université Paris 3 – Sorbonne nouvelle. Je cherche un sujet qui allie mes deux passions en l’occurrence la littérature et le cinéma. Jacques Prévert m’apparaît alors comme une évidence. Il est poète. Il est scénariste. Et je me sens une communauté de cœur avec lui. Très vite, je cerne une erreur d’appréciation le concernant, puis je découvre le cimetière de projets avortés qui constitue aussi sa filmographie. Je commence par me focaliser sur un film écrit par Prévert et son ami Pierre Laroche, réalisé par Edmond T. Gréville Une femme dans la nuit. Considéré comme perdu, aucune copie n’en subsistait disait-on, ce film attisait la curiosité d’un grand nombre de cinéphiles. Grâce aux témoignages recueillis et à la presse de 1941, 1942 et 1943, j’ai pu effectuer une reconstitution de l’histoire de et autour de ce film. Et à force de persévérance, j’en ai retrouvé une copie… à Moscou ! J’ai alors décidé de poursuivre mes recherches sur ce que j’ai nommé les scénarios détournés » de Jacques Prévert, c’est-à-dire des scénarios restés sur le papier ou modifiés par d’autres et qu’il n’a pas signés, donnant lieu à des films plus ou moins éloignés de la partition d’origine. Écartés de leur destinée première, partis dans une autre direction, ces écrits cinématographiques ont donc été abandonnés ou mutilés. Les sortir de l’ombre en me lançant dans une entreprise de réhabilitation de tout un pan du travail scénaristique de Prévert, afin de proposer un nouvel éclairage, tel fut mon objectif. Je l’ai poursuivi en Master 2 et en Thèse de doctorat. Devenue universitaire, j’ai ensuite consacré une quinzaine d’ouvrages, une quarantaine d’articles et une soixantaine de conférences à Prévert, et ainsi partagé mes recherches avec le plus grand nombre. Et à mon parcours personnel, il faut ajouter une rencontre décisive, un pyrogène prévertien » devenu un ami très proche à qui je dédie d’ailleurs mon essai, Prévert et le cinéma Les Nouvelles éditions Place, 2017 Bernard Chardère. Fondateur des revues Premier Plan et Positif, ainsi que de l’Institut Lumière, Chardère a bien connu Prévert, et la bande à Prévert », de Robert Doisneau à Maurice Baquet en passant par Pierre Prévert. N’y a-t-il pas toujours eu un malentendu autour de Prévert ? Un regard un peu hautain à l’égard de son œuvre ? Je pense à Paroles par exemple dont vous rappelez dans votre biographie la sortie saluée par beaucoup mais aussi très vite les critiques dénonçant une poésie populaire » ? Vous avez pleinement raison, le cas de Paroles me semble en effet assez représentatif. Prévert est un autodidacte ; il a beaucoup engrangé et il a fait ses classes dans la rue, auprès des surréalistes notamment, avant d’écrire assez tardivement, vers la fin des années 1920. Prévert n’a pas cherché à être publié. Mais devant l’insistance de certains, des textes sont parus de manière éparse dans des revues dans les années 1930. Puis, en 1945, Prévert raconte qu’il se promène à Saint-Germain-des-Prés lorsqu’il rencontre un ami décorateur de cinéma, Robert Clavel. Celui-ci lui dit connaître quelqu’un qui souhaite publier ses poèmes. Il laisse alors à l’auteur les coordonnées de l’intéressé René Bertelé. Ce dernier a été professeur de français dans le sud de la France, et lors d’un séjour dans le Midi vers 1942, Prévert a fait brièvement sa connaissance dans les milieux de la Résistance. En 1944, Bertelé fonde sa propre maison d’édition, Le Point du Jour, et c’est suite aux conseils du poète Henri Michaux – grand admirateur des écrits de Prévert – qu’il décide d’éditer ses poèmes. Cette fois, Prévert accepte. Paroles rencontre un succès fulgurant et inégalé. Les huit premiers jours, 5 000 exemplaires sont vendus. Au bout d’un an, 25000 ont été achetés. Pierre Béarn Sortilèges, 1953 témoigne Je peux vous dire que Paroles a battu de loin dans ma petite librairie du Quartier Latin le record de la vente. J’en ai vendu des mètres cube ». Pensez donc, un libraire comptabilisant ses ventes de poésie en mètres cube ! À ce jour, Paroles est le recueil français du XXe siècle le plus traduit et vendu dans le monde. Prévert offre en quelque sorte la poésie au peuple, créant une sorte de lutte des classes culturelle qui n’est évidemment pas du goût de tous… Ces mots de Prévert qui ne laissent jamais indifférent comptent en effet des détracteurs, aujourd’hui encore. Sans vouloir accorder plus d’importance qu’il n’en faut à ces derniers, voici quelques griefs formulés, dont je laisse le lecteur juge. Henri-Jacques Dupuy Ce Soir, 1946 affirme que Prévert ne parvient pas à échapper à une sorte d’anarchisme de collégien, assez peu efficace en définitive malgré ces cinglantes irrévérences ». Du côté des communistes, Jacques Gaucheron La Nouvelle Critique, mars 1950 parle des faux sentiments d’un anarchiste désolé » et d’une antithèse mécanique ». En 1965, Alain Bousquet Parler qualifie Prévert de Maurice Chevalier pour midinettes bavardes ». Claude Mauriac parle quant à lui de guignol du pavé qui se prend pour Goya ». En 1992, Michel Houellebecq Les Lettres françaises publie Jacques Prévert est un con », se demandant Pourquoi la poésie de Jacques Prévert est-elle si médiocre, à tel point qu’on éprouve parfois une sorte de honte à la lire ? ». Parce que ce qu’il a à dire est d’une stupidité sans bornes ; on en a parfois la nausée », que sa vision du monde est plate, superficielle et fausse » et que sur le plan philosophique et politique, Jacques Prévert est avant tout un libertaire ; c’est-à-dire fondamentalement un imbécile ». En 2007, le chanteur Jean-Louis Murat Lire tient les propos suivants J’ai toujours aimé Baudelaire. C’est l’apogée de la langue française, avec Rimbaud, Stendhal et Proust. Après, on fait face à une lente décrépitude. La poésie, c’est toujours la lyre avec des mots, et Baudelaire se prête admirablement à ça – bien plus que cette tragédie de Jacques Prévert, sans doute le plus mauvais poète français – Souviens-toi, Barbara, quelle horreur ! Et les frères Jacques n’arrangeaient rien... ». Quelques mois plus tard, Murat précise L’Express [Baudelaire est] le dernier poète chantable. Mallarmé est inadaptable. Aragon, c’est du sous Baudelaire. Je déteste Prévert. Après, c’est la dégénérescence, on arrive au néant, à Grand Corps malade... ». Comme le note avec humour Bernard Chardère dans la préface qu’il m’a fait l’amitié d’écrire pour Prévert, portrait d’une vie Ramsay, 2007 Il n’y a pas lieu de s’étonner qu’il [Prévert] n’ait jamais fait l’unanimité chez les critiques quand on se moque des réceptions à la Nouvelle Oisellerie Française, on ne peut s’attendre aux sourires des plumitifs car il y en a de la NRF ; quand on ne se veut pas commandeur des croyants et il y en a, de tous bords, on ne peut s’attendre à leur bénédiction. Éditer tant de Cahiers des Amis de Claudel ou de Céline, mais de Prévert, jamais, relève plus du maintien de l’ordre social que de motifs “littéraires”. Pour un “abstracteur de quintessence” dûment diplômé, Prévert qui parle, qui recherche un langage commun, ne saurait être sa tasse de thé ou de thèse ; l’intellectuel moyen type n’est pas sensible à la subtilité sous la simplicité, ni au côté “Grand Rhétoriqueur” que cache l’écrivain sous son flot de paroles, son flux de mots. Il en reste à la lettre, à la poésie pour l’école, de même qu’il peut tenir Rabelais pour un primitif contant des balivernes. À d’autres… Hors des rangs, à la marge, libre-penseur, franc-tireur et partisan, Jacques Prévert, homme contre, préfère sortir en griller une ». Pourquoi sa poésie est-elle lue avec autant de défiance ? À cause de cette liberté irréductible que vous décrivez au fil de votre portrait de l’artiste ? Et quelle est l’histoire et l’état de la réception de Prévert après sa mort ? La question est complexe, et certains éléments que nous venons d’évoquer pour le cas de Paroles s’appliquent aussi à la totalité de son œuvre. On peut bien entendu en ajouter d’autres, notamment le fait que Prévert développe constamment une thématique libertaire, qui elle non plus n’est pas du goût de tous. Il est anticlérical. Dès son enfance il nourrit une profonde aversion pour la Bible. Lors des cours de catéchisme, il est surpris du décalage qui existe entre ce qui est dit dans les textes sacrés et ce qui se passe dans la réalité. Il est même choqué par la cruauté et l’autorité de Jésus, et par le fait que la femme est présentée comme inférieure à l’homme auquel elle doit être soumise. Très vite, Prévert décèle une tentative de tromperie et d’assujettissement. Enfin, il considère cette histoire comme la banale histoire d’une famille qui ne défend que ses intérêts et ne revêt de fait pas un grand intérêt. En regard, il trouve les histoires mythologiques bien plus justes et exaltantes, avec de si belles déesses ! Ses réparties en la matière lui valent d’être souvent mis à la porte des cours. Le texte Pater noster » Paroles, 1946 demeure sans doute son travestissement satirique le plus célèbre. Après le titre en latin qu’il donne au poème, Prévert reprend tel quel le premier vers de la prière que Jésus enseigna à ses disciples, Notre-Père qui êtes aux cieux ». Seulement, dès le vers 2, blasphème absolu, la réécriture débute par un claquant Restez-y ». Puis la prière est alors revue et corrigée. Un autre élément de crispation est l’antimilitarisme. L’armée est une cible privilégiée de Prévert. Né en 1900, l’auteur vit les deux Guerres mondiales. Il est trop jeune pour faire la Première, mais en 1917, il voit des soldats en permission chantent L’Internationale et À Craonne sur le plateau – cette dernière est interdite car violemment opposée à la guerre Adieu la vie, adieu l’amour, adieu toutes les femmes ! C’est bien fini, c’est pour toujours. De cette guerre infâme, c’est à Craonne, sur le plateau, qu’on doit laisser sa peau, car nous sommes tous condamnés. Nous sommes les sacrifiés », tel est son refrain. Prévert assiste à leur passage à tabac par la police. Il proteste. Il est embarqué par les policiers. Ceux-ci lui glissent une lame de rasoir dans la poche. Une déposition tout prête lui est tendue. Il proteste à nouveau. Il est malmené. Il est amoché. En 1918, il passe devant le Conseil de Révision. En juin 1940, Prévert quitte Paris pour la zone libre. Il est réformé – comme goitreux, atteint par surcroît de sénilité précoce » selon Marcel Duhamel dans son autobiographie Raconte pas ta vie Mercure de France, 1972 – après avoir tenu volontairement des propos saugrenus et adopté un comportement intriguant. Prévert refuse avec véhémence le combat, le port d’armes, la torture, les bombes, les fusillades et les exécutions. Pensons au célèbre vers de Barbara » Paroles, 1946, Quelle connerie la guerre ». Ce texte probablement écrit fin 1944 donna lieu à une chanson, initialement interdite à la radio. Nouvel élément de crispation encore la défiance de Prévert à l’égard des intellectuels et des journalistes. L’auteur nous invite en effet à nous méfier de ceux qui croient monopoliser le savoir dans des textes comme Il ne faut pas » Paroles, 1946 ou La Tour » Spectacle, 1951. Quant à Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France » Paroles, 1946, c’est un pamphlet contre le journalisme et le conformisme social, appelant à ne pas se fier aux apparences et à ne pas croire ceux qui portent des masques. Avec sa première pièce pour la troupe de théâtre le groupe Octobre écrite en 1932, Vive la presse, Prévert s’en prenait déjà violemment à la presse accusée de lâcheté et de mensonges. Avec ces quelques éléments, le ton est donné. Ajoutons que Prévert échappe aussi à toute classification et ne s’insère dans aucune taxinomie poétique. En effet, ses ouvrages prennent des formes variées. Outre les recueils de textes, il y a aussi, de manière plus hétéroclite, des livres qui associent textes et dessins avec Elsa Henriquez ou encore André François, textes et photographies avec Ylla, Izis, et André Villers notamment, textes et compositions Marc Chagall et Joan Miró par exemple, textes et lithographies Max Ernst, textes et gravures Georges Ribemont-Dessaignes, textes et découpages Pablo Picasso, etc. Ce caractère protéiforme ébranle les structures fondamentales des arts traditionnels et se décline aussi avec un mélange de textes et de collages dont Prévert est l’auteur Fatras 1966 et Imaginaires 1970. De plus, au sein même de ces ouvrages se mêlent des genres éclectiques puisque l’on trouve aussi bien des textes courts que des chansons, des histoires, des instantanés et des inventaires. Quant à la réception de Prévert après sa mort, il faudrait l’étudier avec précision, mais il ne me semble pas finalement que les choses aient tellement changé. Une exception de taille cependant son insertion dans les manuels scolaires des écoliers. C’est une belle initiative, même s’il est regrettable qu’elle ne concerne que les très jeunes élèves… Cette date anniversaire n’est-elle pas l’occasion d’une réévaluation bienvenue ? Car, outre les nombreuses publications et rencontres partout en France, il y aura également cet été un colloque à Cerisy attendu qui permettra sans doute de remettre quelques pendules à l’heure. Quelle sera l’idée de ce rendez-vous ? Depuis une vingtaine d’années, ma recherche scientifique est motivée par une entreprise de réhabilitation qui permette de réévaluer l’œuvre protéiforme de Prévert. J’espère y être en partie parvenue. Contre vents et marées, en essayant de conserver ma liberté d’expression malgré les obstacles dressés sur mon chemin… et pour le montage de ce colloque, qui a nécessité deux ans de préparation, il y en eut beaucoup ! Quarante ans après la disparition de Jacques Prévert, le colloque de Cerisy est une manifestation internationale que nous nous devions absolument d’offrir enfin en hommage à Jacques Prévert. Je m’explique. Depuis 1952, le Centre culturel international de Cerisy-la-Salle est un lieu de rencontres capital où se déroulent les fameux Colloques de Cerisy », qui permettent de débattre de sujets artistiques, littéraires, philosophiques, politiques et sociaux. Depuis 65 ans, plus de 500 colloques qui ont fait date ont été organisés. Or, aucun colloque Prévert ne s’y est jamais tenu ! Cerisy est pourtant situé dans la Manche, département normand où Prévert a fini ses jours, où il est enterré et où se visite sa maison, située dans le village d’Omonville-la-Petite. Comment alors expliquer une telle aberration ? Les raisons sont multiples l’indifférence de bon nombre de chercheurs vis-à-vis de son œuvre et donc l’absence d’initiative pour proposer une manifestation scientifique ; les tensions entre le département et la succession Jacques Prévert, spécifiquement depuis l’installation de la statue de Prévert et Trauner dans le parc d’Omonville ; le coût des droits à acquitter pour donner à entendre et à lire Prévert ; les pressions pour contrôler ce qui s’écrit sur l’œuvre et la vie de l’artiste… L’initiative est donc venue cette fois directement du Centre culturel international de Cerisy-la-Salle, qui m’a demandé d’élaborer un programme scientifique pour renouveler le regard porté sur Prévert en cette année commémorative. J’aurai le plaisir de le codiriger avec Marianne Simon-Oikawa, de l’université de Tokyo. Malgré le contexte difficile dont je viens de parler, nous avons réuni une équipe de chercheurs motivés, et défini un programme à la fois indépendant et le plus complet possible. Il convient ici de saluer l’écoute, l’adhésion sans faille de la directrice de Cerisy, Édith Heurgon, qui a été convaincue par notre projet et s’est battue pour la tenue de cet événement. Qu’elle en soit ici très chaleureusement remerciée ! Ainsi, le colloque international Jacques Prévert, détonations poétiques » se tiendra à Cerisy du 11 au 18 août 2017. Précision de taille c’est avec une joie immense que Marianne et moi avons reçu le soutien de la Mission des commémorations nationales pour la publication des Actes ! Vous l’avez compris, ce colloque sera l’occasion de redécouvrir Prévert, de le donner à lire autrement, d’une manière plus complète et plus juste. En tête des classements des poètes préférés des Français, en tête des traductions et des ventes avec son recueil de poèmes Paroles, en tête des scénaristes qui ont marqué le cinéma français, et dans la tête des enfants qui apprennent ses textes dès les petites classes, la poésie de Jacques Prévert est familière aujourd’hui comme hier aux petits et aux grands. Cependant, malgré son immense popularité, il reste méconnu. Un profond décalage existe entre son œuvre réelle et l’image que la postérité en garde. La diversité de ses créations n’est présentée que de manière partielle. La perception actuelle qu’en a le public est également erronée. À côté de textes doux et rêveurs figure en effet, et même majoritairement, une poésie-action. Mais trop atypiques et trop dérangeantes, les productions prévertiennes ont été édulcorées. Fidèle toute sa vie à ses convictions, l’artiste a créé une œuvre rebelle et virulente, anticléricale et antimilitariste, crue et corrosive, vivante et roborative, d’une actualité encore étonnamment criante. Elle résonne fortement dans le monde qui est à présent le nôtre, et contribue à l’éclairer. Participeront à ce colloque des chercheurs du monde entier, universitaires université d’Arras, École nationale Louis Lumière, université de Tokyo, université Doshosha, université Paris-Est Marne-la-Vallée, université de Nantes, université Paris 8 – Saint-Denis, université Paris 3 – Sorbonne nouvelle, École d’art marocaine de Casablanca… ou institutionnels Bibliothèque Kandinsky du Centre Pompidou, Bibliothèque nationale de France, Bibliothèque Centre national du cinéma et de l’image animée.... Les différentes facettes de l’œuvre de Prévert seront ainsi appréhendées au fil de la semaine cinéma d’animation, cinéma visible et invisible, cinéma documentaire, théâtre, tracts et manifestes politiques, collage d’images et de mots, poésie, chanson, livres avec les peintres et les photographes… En plus de ces communications, le 13 août en soirée sera projetée Un oiseau rare, délectable comédie réalisée par Richard Pottier en 1936. Pour cette projection, nous serons rejoints par les participants du colloque Psychanalyse et cinéma du visible et du dicible » coorganisé par Chantal Clouard et Myriam Leibovici, ce qui donnera lieu, sans nul doute, à des échanges très fructueux ! Le 14 août une journée d’escapade mènera intervenants et auditeurs à Omonville-la-Petite, où nous serons accueillis à la Maison Jacques Prévert par Fanny Kempa, responsable de la demeure de l’artiste. Et le 15 août seront donnés à entendre les mots de Prévert par les comédiens Philippe Müller et Vincent Vernillat de la compagnie Le grain de sable. Le programme complet est disponible ici. Rejoignez-nous nombreux pour commémorer joyeusement Prévert en Normandie, cette région qu’il a tant appréciée ! En lisant votre biographie intellectuelle de Prévert, on constate deux choses d’abord la parfaite discrétion de l’homme sur sa propre vie ; ensuite que l’artiste Prévert est au milieu de toutes les grandes aventures artistiques de son temps, qu’il s’agisse de littérature, de cinéma, des arts plastiques, ou de la chanson. Il est un interlocuteur, pris au sérieux aussi bien par Breton que Picasso, ou Éluard, Montand, Renoir ou Carné, Gréco ou Gabin. Prévert semble être au cœur de tout. Pourtant sa place n’est jamais centrale. En effet, Prévert n’aimait guère se livrer sur sa propre existence, ni sur son œuvre d’ailleurs, déclarant fréquemment Raconte pas ta vie ». En effet également, Prévert est de toutes les grandes aventures de son temps. Par exemple, il participe au surréalisme de 1924 à 1930, année d’où il s’en exclut en signant le célèbre pamphlet Mort d’un monsieur » contre André Breton dans Un Cadavre. Dès 1924, le 54 rue du Château, la demeure de Prévert et de ses amis située dans le XIVe arrondissement de Paris, devient même l’un des centres névralgiques du mouvement. Breton déclara d’ailleurs que là se trouvait le véritable alambic de l’humour au sens surréaliste » Entretiens 1913-1952. Autre exemple, Prévert participe activement au cinéma français, par l’écriture de plus de cent scénarios, dont la majorité a été fort heureusement tournée L’affaire est dans le sac Pierre Prévert, 1932, Le Crime de monsieur Lange Jean Renoir, 1936, Drôle de drame Marcel Carné, 1937, Le Quai des brumes MC, 1938, Le jour se lève MC, 1938, Remorques Jean Grémillon, 1941, Les Visiteurs du soir MC, 1942, Adieu… Léonard ! Pierre Prévert, 1943, Les Enfants du paradis MC, 1945, Notre-Dame de Paris Jean Delannoy, 1956, Le Roi et l’Oiseau Paul Grimault, 1980… Je m’arrête là, je pense que la mémoire de tous est ainsi rafraîchie. Le scénariste Jean Aurenche déclara alors qu’ un jour le cinéma s’est mis à parler Prévert » cité par Didier Decoin dans Les Nouvelles Littéraires, 1975. Autre exemple encore, Prévert a écrit des textes dont les interprètes et les compositeurs se sont emparés. Saint-Germain-des-Prés s’est alors mis à chanter ses mots, et l’onde s’est propagée au-delà de l’hexagone ! Et Prévert est l’ami des peintres et des photographes, de Picasso à Miró en passant par Doisneau ou encore Izis. Il écrit avec eux, pour eux, collabore aussi à des livres avec eux. Les déclinaisons sont multiples. Bref, Prévert est bien au milieu de tout. Il est un pyrogène qui met le feu aux poudres créatrices. Il donne. Il transmet. Il soutient. Il permet. Sans compter. Sans imposer. Sans rien demander en retour. Et souvent dans l’ombre. Parmi les éléments qui resurgissent dans votre biographie, c’est la participation de Prévert au groupe Octobre. Pouvez-vous nous rappeler ce qu’était Octobre et la place de Prévert ? Au départ se trouve la troupe de théâtre Prémices. Constituée de comédiens amateurs enseignants, employés et ouvriers et de professionnels, elle se produit dans des fêtes syndicales, dans des pièces d’intellectuels communistes comme Paul Vaillant-Couturier et Léon Moussinac, mais aussi de Prosper Mérimée ou d’Octave Mirbeau. En 1932, Prémices se divise en deux mouvements. D’un côté, Roger Legris prend la direction d’une équipe, avec Gaston Baty et Georges Vitray, et donne des pièces formellement très travaillées. De l’autre côté, Lazare Fuchsmann, Guy Decomble, Raymond Bussières et Suzanne Montel, avec le soutien de Vaillant-Couturier et Moussinac, forment un groupe de théâtre davantage basé sur la spontanéité, auquel ils donnent le nom de Groupe de choc Prémices. Ces troupes appartiennent à la Fédération du théâtre ouvrier de France. L’année de cette séparation, Prévert et Jean-Paul Dreyfus - Le Chanois se rendent fréquemment à des meetings dans lesquels des groupes de cette fédération se produisent. À l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires, ils rencontrent Vaillant-Couturier et Moussinac. Bussières, alors fonctionnaire à l’Hôtel de Ville de Paris, cherche des textes nouveaux. Sur les conseils de Vaillant-Couturier, il contacte Prévert. La rencontre est insolite. Elle a lieu chez Jacques, rue Dauphine dans le VIe arrondissement. Prévert est encore bouleversé par le suicide de son ami l’acteur Pierre Batcheff. Prévert écrit alors Vive la presse, que nous avons déjà évoqué, qui dénonce le capitalisme et la malhonnêteté de ceux qui ont le pouvoir, et attaque avec virulence la presse, accusée de mensonges. Prévert à la plume, Lou Bonin - Tchimoukow à la mise en scène Lou Bonin, dit Lou Tchimoukow, pour que son nom fasse plus soviétique, Arlette Besset, Jean Brémaud, Jacques-Bernard Brunius, Raymond Bussières, Guy Decomble, Lou Félix, Virginia Grégory, Paul Grimault, Ida Lods, Lazare et Jeanne Fuchsmann, Jean Loubès, Suzanne Montel, Gisèle Fruhtman future femme de Pierre Prévert et Zoula à l’interprétation. La première a lieu en mai 1932. C’est un succès. Cette pièce marque le début de la participation de Prévert à cette troupe qui deviendra, sur la suggestion de Lou Bonin - Tchimoukow et en souvenir de la révolution russe d’octobre 1917, le groupe Octobre. Ce groupe, c’est le théâtre de l’agit-prop, c’est-à-dire de l’agitation-propagande. La troupe se produit dans la rue, dans les cafés, dans les usines en grève et dans des soirées théâtrales. Elle donne des chœurs parlés, des pièces, des saynètes et des sketches, qui sont constamment en rapport avec l’actualité politique, auprès d’un public populaire qui participe et donne force aux mots. Elle agit dans l’urgence les textes sont souvent écrits et répétés durant la nuit pour le lendemain. Prévert se révèle et excelle dans cet exercice. La même année, le groupe Octobre fait parler de lui avec une autre manifestation. Au cimetière du Père-Lachaise se trouve le mur des Fédérés, contre lequel 147 communards furent exécutés en mai1871 par les Versaillais, après la chute du gouvernement insurrectionnel. La troupe s’y produit, en hommage aux fusillés. Puis Prévert livre deux textes d’actualité qui ont considérablement marqué les membres du groupe Octobre L’Avènement d’Hitler et Citroën. Parvenu au pouvoir en janvier 1933, Hitler apparaît tout de suite comme dangereux aux yeux de Prévert, ce qui l’incite à aborder l’événement dans un chœur parlé joué par la troupe. En avril de la même année, Citroën fait de la tour Eiffel un gigantesque panneau publicitaire lumineux. Or, les ouvriers de l’entreprise automobile sont en grève et manifestent. Autre moment fort La Bataille de Fontenoy. Écrite en octobre 1932 et présentée début 1933 au deuxième congrès de la Fédération du Théâtre ouvrier, cette pièce s’oppose violemment à la guerre. Du 24 au 30 mai 1933 a lieu à Moscou l’Olympiade internationale du Théâtre Révolutionnaire. C’est avec La Bataille de Fontenoy, précédé d’Actualités, que le groupe Octobre y participe. La troupe part de Londres sur un cargo soviétique. Du 18 au 23 mai, elle est à Léningrad. Sont notamment du voyage Yves Allégret, Arlette Besset, Jacques-André Boiffard, Jean Brémaud, Lou Bonin/Tchimoukow, Raymond Bussières, Jean-Paul Dreyfus - Le Chanois, Marcel Duhamel, Gisèle Fruhtman, Jean Loubès, Suzanne Montel, Léon Moussinac et Léo Sabas. Sur le bateau, l’enthousiasme est débordant et les répétitions vont bon train. Dreyfus - Le Chanois envoie des lettres et tient un journal qui témoigne de l’ambiance qui règne à bord. L’Olympiade se déroule à merveille et La Pravda écrit dans ses colonnes que le groupe Octobre a donné une revue-montage, extrêmement intéressante, intitulée La Bataille de Fontenoy. L’intérêt particulier de cette revue consiste en ce que tout le texte est composé de coupures de journaux, de discours parlementaires, d’aphorismes sur les dirigeants politiques, etc. ». La prestation du groupe est remarquée, tout comme sa sortie, très risquée le dernier jour, certains membres, dont Prévert, refusent de signer un texte qui fait l’éloge de Staline. De retour à Paris, le groupe Octobre est en pleine gloire et poursuit vaillamment ses activités jusqu’en 1936. Il est rejoint par Fabien Loris, Yves Deniaud, Sylvain Itkine, les frères Marc l’un d’eux deviendra le chanteur Francis Lemarque et Maurice Baquet. Prévert est extrêmement actif et produit de nombreuses pièces. Fin 1935, il écrit Le Tableau des Merveilles, une adaptation de Cervantès. Il a conservé les deux saltimbanques, Chanfalla et Chirinos, qui arrivent dans une ville espagnole pour présenter aux notables ce qu’ils nomment le tableau des merveilles », spectacle que seuls ceux qui possèdent certaines qualités peuvent voir… La mise en scène est de Jean-Louis Barrault et les répétitions se déroulent à Paris, dans son grenier du 7, rue des Grands-Augustins, à l’endroit même où Picasso peindra Guernica quelques mois plus tard. À la Maison de la Culture de la rue d’Anjou, dans le VIIIe arrondissement, la pièce est jouée pour la première fois en janvier 1936. Elle accompagne des spectacles d’autres troupes de la Fédération du théâtre ouvrier de France et une conversation sur le théâtre entre Louis Aragon et Bernard. Le groupe Octobre participe aussi à des fêtes et kermesses qui font grand bruit. En juin 1935, c’est la fête bretonne de Saint-Cyr l’École. La troupe y représente Suivez le druide, revue bretonne en six tableaux. Elle anime la fête par un défilé antimilitariste et anticlérical qui fait scandale ; Prévert est déguisé en abbé. Le groupe Octobre récidive à Villejuif, en juillet 1935 à la kermesse bretonne et auvergnate et en juin 1936 lors de la kermesse municipale. En juillet 1936, la troupe se dissout. Si j’ai été un peu longue sur le sujet, c’est parce que le groupe Octobre est une aventure capitale pour Prévert. Il ne faut pas la sous-estimer. Il apprend à écrire beaucoup et vite avec le groupe Octobre, entre 1932 et 1936. Et il ne s’arrêtera plus ! Si Paroles occupe une place déterminante dans l’œuvre de Prévert, parce qu’il s’agit d’une œuvre emblématique, c’est peut-être l’arbre qui cache la forêt, d’abord parce qu’il y a d’autres textes de Prévert… Tout à fait ! L’heureux succès de Paroles a eu aussi comme conséquence de faire de l’ombre, avec le temps, aux autres recueils de Prévert. C’est pourquoi, dans mon entreprise de prévertisation rires, j’invite toujours à lire d’autres ouvrages du poète. Une précision au passage j’utilise volontairement le terme poète », après l’avoir évité pendant un certain nombre d’années. Pourquoi ? Si Prévert prétend ne pas savoir ce qu’est la poésie et ne pas avoir de carte de visite estampillée poète, il est pourtant incontestablement un poète. Je m’explique. Il me semble en effet qu’avec ce mot, Prévert rejetait surtout, d’une part le permanent étiquetage qu’impose la société, et d’autre part le sens prétentieux et élitiste qu’elle colle souvent à ce vocable, le dénaturant alors. Prévert est un poète dans l’acception que Guillaume Apollinaire lui attribue dans sa conférence L’Esprit nouveau et les poètes » qu’il donne au Vieux-Colombier le 26 novembre 1917 celui qui découvre de nouvelles joies, fussent-elles pénibles à supporter », ajoutant que l’ on peut être poète dans tous les domaines il suffit que l’on soit aventureux et que l’on aille à la découverte ». Les autres textes donc. Pour les recueils de textes, je renvoie les lecteurs à Histoires 1946, Spectacle 1951, La Pluie et le Beau Temps 1955 ou encore Choses et autres 1972. Pour les livres contenant textes et collages, lisez Fatras 1966 Imaginaires 1970. Quant aux ouvrages contenant textes et photographies, ceux avec Ylla sont moins connus mais pourtant absolument délicieux Le Petit Lion 1947 et Des Bêtes… 1950. Pour les livres avec les peintres, je conseille fortement Diurnes 1962, avec des découpages de Pablo Picasso, des interprétations photographiques d’André Villers et des textes de Prévert. Avec des gravures de Georges Ribemont-Dessaignes, Arbres 1967 est une petite merveille, qui s’adresse aux arbres, puis aux hommes Pour les livres pour la jeunesse, ouvrez Contes pour enfants pas sages 1947 avec des dessins d’Elsa Henriquez ou encore Lettres des îles Baladar 1952, avec des illustrations d’André François, une fable qui a pour thème la colonisation et revêt la forme d’un pamphlet anticolonialiste. L’inventaire est évidemment loin d’être exhaustif, mais il montre en effet, pour reprendre votre image, que Paroles est l’arbre qui cache la forêt. Alors, entrez dans la forêt ! Vous avez désormais quelques pistes… …arbre qui cache la forêt, ensuite parce que Prévert également quelqu’un qui aura énormément écrit pour le cinéma. Vos récentes publications Jacques Prévert. Une vie , mais aussi en poche les scénarios écrits par Prévert, et surtout l’étude Prévert et le cinéma montrent une autre facette de l’auteur Prévert. Certes, Prévert est l’auteur de quelques scénarios et dialogues célèbres du cinéma, mais il est également l’auteur de très nombreux scénarios inédits ou inconnus. Dans Prévert et le cinéma vous appelez cette production le cinéma de papier ». Cela aussi semble avoir été oublié. Prévert était un travailleur du monde du cinéma particulièrement prolixe, mais sans compromis. Les films réalisés à partir de scénarios de Jacques Prévert sont nombreux. Nous en avons déjà mentionné un certain nombre. Pourtant, cette filmographie déjà copieuse aurait dû l’être plus encore, nous l’avons déjà indiqué également. Au cours d’une vingtaine d’années de recherches sur le sujet, j’ai découvert plusieurs dizaines de scénarios inédits, dans des fonds d’archives publiques parfois, dans des archives privées le plus souvent. Des tout premiers ciné-textes de jeunesse, comme Le Pont Mirabeau ou Le Bateau Mouche Pirate, à des synopsis plus développés de l’âge mûr comme La nuit tombe sur le château ou La Fortune des Rougon, en passant par des synopsis succincts d’une à quelques pages seulement comme Pour ses beaux yeux ou Guichet 14. Le fruit de mes recherches a donné lieu à une longue filmographie commentée et enrichie mois après mois, année après année, dont la dernière version éditée figure dans Prévert et le cinéma Les Nouvelles éditions Place, 2017. D’autre part, j’ai proposé des études de certains cas, de Baleydier à Taxi de minuit en passant par Bulles de savon Les Nouvelles éditions Place, 2012 ou encore La Fleur de l’âge Gallimard, 2013. Enfin, en ce quarantenaire de la disparition de Prévert, trois scénarios inédits sont parus en Folio, précédés à chaque fois de deux pages de présentation Le Grand Matinal, Au Diable vert, La Lanterne magique. Au vu de l’ampleur des recherches menées, et du nombre de découvertes, une édition scientifique annotée, proposant des variantes et des analyses convoquant aussi bien les outils des études cinématographiques, historiques, littéraires et génétiques serait évidemment pertinente et indispensable… Mais c’est un projet ambitieux, qui fait hésiter les éditeurs. Pour commencer, j’ai donc proposé une synthèse succincte de cet ensemble dans mon dernier essai sur le cinéma de Jacques Prévert, dans le chapitre intitulé en effet le cinéma de papier ». Et le colloque international de Cerisy sera pour moi l’occasion de communiquer encore sur d’autres aspects de ce cinéma invisible. Précisons que si Jacques Prévert compte bon nombre de projets avortés dans sa filmographie, il n’est pas le seul dans ce cas. C’est pourquoi je dirige aux Nouvelles éditions Place, un nouveau volume de l’Anthologie du cinéma invisible. Cent auteurs présenteront cent scénarios inédits d’écrivains, de poètes, de plasticiens, de photographes, de réalisateurs de toute époque et de toute nationalité. Une folle aventure, soutenue par le CNC ! Quand on apprend que Prévert a eu un projet d’adaptation de Mary Poppins , on se met à rêver. En élargissant le propos, quelle est la réception de Prévert à l’étranger ? Est-il ou serait un auteur plus lu ou reconnu qu’en France ? Oh que je vous comprends ! En 1938 en effet, Jacques Prévert a le projet d’écrire une adaptation de Mary Poppins de Pamela L. Travers pour son frère Pierre. Paru quatre ans plus tôt, ce roman basé sur le personnage de la gouvernante-magicienne est découpé en chapitres qui sont autant de nouvelles aventures un goûter pris au plafond, une vache rouge qui danse, des enfants qui comprennent le langage des oiseaux, un anniversaire célébré dans un zoo où ce sont les humains qui sont enfermés dans des cages, etc. Ces aventures plurent à Prévert. Mais le projet ne vit pas le jour. Le scénariste envisagea de le reprendre en 1942 pour Marcel Carné, sans plus de succès. Quant à la réception de Prévert à l’étranger, il conviendrait de se lancer dans une réelle analyse, ce que je n’ai pas fait. Ce que je peux vous dire n’est basé que sur mon expérience sur des continents variés, de Tokyo à La Havane en passant par Bruxelles, auprès de publics très divers. Prévert semble à chaque fois connu uniquement pour un ou deux pans de son œuvre. Par exemple, les Japonais connaissent surtout Les feuilles mortes » et Le Roi et l’Oiseau Paul Grimault, 1980 alors que les Belges maîtrisent plus les poèmes aux accents fortement surréalistes. Cet automne, je me rendrai successivement à Monaco et à Alger pour évoquer Prévert. Prévert y est peut-être perçu encore différemment… Et je trépigne déjà d’impatience d’en savoir davantage ! Quand on lit vos livres consacrés à Prévert, on voit ressurgir des noms et des figures, occultées par les grandes vedettes, des figures amies de Prévert, des figures qui ont accompagnées toute la culture populaire de la seconde moitié du XXe siècle, je pense à Maurice Baquet, Raymond Bussière, l’ami Marcel Duhamel, le frère Pierre… Prévert, c’est aussi le récit d’une atmosphère, d’une liberté et d’une série d’amitiés. Votre biographie se termine par un chapitre intitulé Avec les copains ». Oui, l’amitié est capitale pour Prévert. C’est d’ailleurs pourquoi, après lui avoir consacré le chapitre que vous évoquez, j’ai décidé de revenir sur le sujet, différemment et plus en profondeur, avec un livre au titre on ne peut plus explicite L’Amitié selon Prévert Textuel, 2012, rééd. 2016. L’amitié se noue, ou ne se noue pas d’ailleurs, en un clin d’œil pour Prévert. Avec lui, l’amitié naît d’un coup de cœur, de manière instinctive, quasiment viscérale. Et quand Prévert choisit quelqu’un comme copain, il lui est fidèle toute sa vie. Ainsi bon nombre de ses rencontres de jeunesse sont restées à ses côtés pour la vie. Vous citez à juste titre les formidables comédiens Maurice Baquet et Raymond Bussière, rencontrés avec le groupe Octobre, et Marcel Duhamel dont Prévert fait la connaissance durant son service militaire. Ils ne se quitteront jamais, jusqu’à la fin. L’une des spécificités de l’amitié prévertienne est qu’elle n’est pas exclusive, et qu’elle est même en quelque sorte contagieuse, si bien qu’existe cette fameuse bande à Prévert » dont nous avons déjà parlé. De plus, l’amitié prévertienne est fructueuse au niveau artistique car les amis se retrouvent souvent dans la création pour des films ou des livres par exemple. Citez tous les copains de Prévert est impossible, mais dans le cadre de L’Amitié selon Prévert, j’ai fait le rude choix d’en sélectionner quinze et de les éclairer Arletty, Maurice Baquet, René Bertelé, Pierre Brasseur, Henri Crolla, Robert Doisneau, Marcel Duhamel, Jean Gabin, Paul Grimault, Joan Miró, Marcel Mouloudji, Pablo Picasso, Simone Signoret et Yves Montand, Alexandre Trauner, Boris Vian… sans oublier le frère-ami, Pierre Prévert. Jacques Prévert était semble-t-il un homme aussi libre que libertaire, autodidacte refusant les cloisons artistiques. Y a-t-il des enfants de Prévert ? Quelle serait l’influence de Prévert ? On a pu entendre un Serge Gainsbourg se revendiquer dans une chanson de Prévert, mais aujourd’hui ? La question est difficile… D’une part il faudrait être constamment à l’écoute de ces témoignages d’appartenance. Et d’autre part, les artistes influencés par Jacques Prévert ne le revendiquent pas toujours ostensiblement… Il y a pourtant un héritage, sans doute d’autant plus important qu’il est diffus, dans l’air, qu’il fait partie de l’inconscient collectif. Liberté, refus des courbettes, attention aux petites gens, tendresse, sincérité, solidarité… Prévert, c’est aussi une manière d’aborder la vie et les êtres. Les enfants de Prévert sont dispersés un peu partout. À l’étranger également. J’ai encore reçu récemment des demandes d’inscription en thèse de doctorat d’étudiants chinois, maghrébin et brésilien, qui souhaitent le mettre en regard avec d’autres poètes de leurs pays respectifs. Sans que nous en mesurions parfois vraiment l’ampleur, Prévert a considérablement oxygéné notre vie. Et il a considérablement contribué à oxygéner la mienne ! Je continuerai bien entendu à vivre avec Prévert et à partager ma passion avec le plus grand nombre mais j’arrêterai fin 2017 de consacrer mes recherches à son œuvre et à sa vie. De nouveaux champs de recherche inexplorés et passionnants s’offrent à moi, les sollicitations d’ayants-droit et les projets s’accumulent, ma vie de chercheuse se poursuit avec de nouvelles aventures, avec le cinéma des poètes, avec le cinéma invisible, avec le cinéma de papier, avec le cinéma en France de 1908 à 1919, avec d’autres magnifiques poètes comme Robert Desnos, avec… J’ai été très heureuse de travailler si longtemps et intensément sur Prévert, et je suis désormais très heureuse lui dire au-revoir sereinement pour voler vers d’autres contrées poétiques et cinématographiques si accueillantes et roboratives. Zusammenfassungen Dans une perspective néo-thomiste, Jacques Maritain considère qu’un artiste est religieux non par les thèmes qu’il choisit ou la foi qu’il professe, mais lorsqu’il saisit les formes dans les choses et les reconstruit selon la nécessité de sa subjectivité créatrice ». C’est ainsi que Maritain a pu reconnaître en Chagall le type même de l’artiste religieux. S’il n’a jamais essayé de christianiser » le peintre, il n’en a peut-être pas été de même avec Raïssa Maritain, surtout lorsque Chagall, à partir de 1938, peint ses grandes crucifixions. Tous deux cependant s’accordent à reléguer l’art sacré » contemporain, c’est-à-dire, selon eux, l’art présent dans les lieux de culte, au bas d’une assez stricte hiérarchie esthétique. En cela, ils s’accordent avec le dominicain Couturier et l’équipe de la revue L’Art Sacré. In a neo-thomist perspective, Jacques Maritain considers that an artist can be qualified as religious not by the themes he chooses or by the faith he professes, but when he grasps the forms of things and reconstructs them according to the demands of his “creative subjectivity”. This is how Maritain thought to have recognised in Chagall the prototype of the religious artist. If he never attempted to “christianise” the painter, the same cannot be said of Raïssa Maritain, especially when Chagall began painting his great crucifixions, from 1938 onwards. Both are however agreed in relegating contemporary “sacred” art –that is, present artistic expressions found in places of cult– at the bottom of a rather strict esthetical hierarchy. On this point, they agree with the Dominican Couturier and the editorial view of the journal L’Art Index-Einträge Seitenanfang Volltext 1 Jésus le Christ dans l’œuvre de Chagall, sous la direction de Pierre-Marie Beaude, Université de Me ... 2 105 eaux-fortes de 1931 à 1939, dont 39 planches reprises et achevées de 1952 à 1956. 3 C’est au plus tard en 1950, selon l’article publié par Raïssa Maritain dans la revue L’Art Sacré n ... 1Dans une thèse soutenue à Metz en 20061, Geneviève Schmitt- Rehlinger montre que Chagall a peint ou dessiné plus de trois cent soixante crucifiés ou œuvres comportant le motif du crucifié. Sa première crucifixion, un dessin à la plume, date de 1908 ou 1909. Si l’on tient compte des œuvres où il a illustré l’Ancien Testament, il peut apparaître comme l’un des principaux artistes religieux du XXe siècle. Mais sa première commande biblique est d’origine profane, elle date des années 1930, quand il a réalisé à la demande d’Ambroise Vollard des gravures pour la Bible 2. Il faut attendre 1957 et la ténacité d’un franc-tireur, le dominicain Marie-Alain Couturier, pour qu’une de ses œuvres entre dans une église, près d’un demi-siècle après la première crucifixion connue3. 4 Dans Grace, Necessity and Imagination Catholic Philosophy and the Twentieth Century Artist, confé ... 2Mais Chagall a-t-il jamais été commandé ? L’auteur du Message Biblique a-t-il jamais illustré la Bible ? Et son art peut-il vraiment être qualifié de religieux ? L’un des grands amis de Chagall, le philosophe Jacques Maritain, a proposé sinon une réponse du moins une esthétique qui permet de poser ces questions de manière à obtenir une réponse. Comme l’a montré Rowan Williams, archevêque de Cantorbéry et ancien professeur à Oxford 4, Maritain apporte de manière plus générale des éléments qui sont toujours utiles pour tenter de définir ce que peut être un art religieux à l’époque contemporaine, et y distinguer plusieurs degrés, une véritable hiérarchie d’ordre esthétique dans ce que d’autres appellent l’art sacré. 5 . My disc of gold. Itineray to Christ, Reynal & Company, New York, p. II. 3Cette hiérarchie, Maritain l’a brièvement résumée – de manière à la fois très lisible et passablement énigmatique – dans l’introduction qu’il a donnée en 1961 à l’autobiographie du peintre américain William Congdon5 There are, I see it, three degrees in religious painting the first degree I would call contemplative painting, which has a religious or God- related significance quite independently of the subject or the theme treated. The second degree I would call religious painting in the strict sense, or painting whith deals with specifically religious themes not necessarily related to any public use. The third degree I would call sacred painting, which, on the walls or in the windows of a church is put at the service of public prayer. … It is obvious that, from the point of view of the essentials of art and inspiration, the first degree is more important than the second, and the second more important than the third. 4La hiérarchie est claire, le sens moins quel peut être cet art religieux indépendant de toute thématique religieuse, ou cet art explicite- ment religieux mais absent des églises ? Enfin pourquoi Maritain place-t-il tout en bas l’art religieux de commande, disposé dans les lieux de prière à des fins cultuelles ? I. Une grande amitié 6 Selon M. DUVAUCHEL, L’esthétique oubliée de Jacques Maritain, un chemin de poésie et de raison, Pub ... 7 Dont Stravinsky, qui reprend l’esthétique maritainienne dans sa Poétique musicale de 1945. 8 Le futur cardinal Charles Journet – Sur un chemin de croix de Marek Szwarc », Nova et Vetera 1 1 ... 5Dans l’élaboration de cette hiérarchie revue et corrigée par l’expérience, l’amitié avec William Congdon arrive en fin de course, comme révélateur. Maritain définit son esthétique dès 1920 dans Art et scolastique, austère traité6 » écrit en pensant à Georges Rouault. À partir des années 1920 il polit et rabote ses idées en compagnie des intellectuels, des poètes, des musiciens7 et des artistes qu’il reçoit chaque dimanche à Meudon. Parmi eux un Juif venu d’Europe de l’Est, habile à illustrer l’Ancien et le Nouveau Testament, qui s’était installé vers 1910 du côté de Vaugirard, dans ce phalanstère d’artistes que l’on appelait la Ruche, où il fréquenta Léger, Soutine, Lipchitz, Kisling, Lichtenstein avant de retourner dans son pays ; il revint en France après la guerre, il s’intégra au cercle de Meudon et devint un intime de Maritain. Non, il ne s’agit pas de Chagall, mais de Marek Szwarc, né en Pologne et converti au catholicisme en 1919, avant de rencontrer Maritain qui sut apprécier l’homme mais, semble-t-il, n’a pas fait grand cas d’une œuvre du troisième degré », ordonnée à la décoration des temples profanes pavillon de la Société des Nations à New-York comme des lieux de culte église Saint-Jean et église du Saint-Rosaire à Toronto ou apparentés Szwarc fut chargé de décorer le pavillon du Saint-Siège à l’exposition universelle de Paris en 1937. Que Szwarc se soit converti au catholicisme et ait été bien vu du Vatican n’influa en rien sur le jugement esthétique de Maritain, peu enthousiaste8. 9 Georges Rouault peintre et lithographe, album orné de quatre lithographies originales timbrées, sig ... 10 Archives du Cercle d’Études Jacques et Raïssa Maritain de Kolbsheim [AK], 2 juin 1929. 6Avec le peintre de Vitebsk, ce fut le coup de foudre, et l’aventure. Chagall a été amené à Meudon par Jules Supervielle, Paul Eluard et René Schwob – ce qui contribue à expliquer pourquoi Maritain a tou- jours considéré qu’il était d’abord un poète. Dans les archives du Cercle d’Études Jacques et Raïssa Maritain de Kolbsheim, le premier billet adressé par Chagall à son cher Maritaine » avec un e », écriture phonétique chagallienne date du 28 juillet 1928. Il y dit son affection pour la maisonnette chaude » de Meudon, et tout de suite il demande des textes J’ai une idée, trop audacieuse peut-être, de vous proposer d’écrire quelques mots dans un des Cahiers de Sélection de Belgique qu’il me consacre. Vous pourrez me détruire complètement, si vous voulez, mais du haut de la pensée de grand Dieu. Ça sera pour moi un doux martyre ». Il demande aussi un texte pour un livre sur le théâtre juif de Moscou qui doit réunir les différentes opinions aussi sur mon travail dans ce théâtre. Serais heureux si vous acceptiez ces deux collaborations. Votre présence m’y sera chère ». Maritain, qui vient de publier une étude sur Rouault9, s’exécute avec plaisir, ce qui lui vaut ce billet de Chagall J’étais touché de votre amour. Si vous me croyez sincère et un peu sur le vrai chemin – vous qui cherchez ardemment la vérité – j’en suis content. Merci profondément pour votre bon œil et votre bon cœur. À vous deux de nous deux10 ». À vous deux de nous deux, car il s’agit d’une amitié entre deux couples, Marc et Bella, Jacques et Raïssa. Raïssa et Bella sont issues toutes deux d’une famille juive russe de tradition hassidique. Une mémoire commune fonde leur intimité, leur complicité, même si le rapport au passé n’est pas le même chez Raïssa, convertie au catholicisme, et pour laquelle le centre du monde est devenu Paris, alors que Bella se sent toujours exilée de Vitebsk. 11 Non daté, mais envoyé de Jérusalem, donc en 1931, archives de Kolbsheim. 12 25 mai 1932, archives de Kolbsheim. Fin 1929, les Chagall ont déménagé et acheté une maison près de ... 13 AK, 7Certains des billets de Chagall à Maritain sont étonnants, il décrit ses amis et se décrit lui-même comme des personnages dans une toile de Chagall Il nous semble – vous êtes suspendus sur un fil dans un autre monde. Nous sommes renversés 11 ». Ou encore quand il invite les Maritain à visiter son jardin de la villa Montmorency qui nous console de toutes les misères du monde. Venez donc le voir et nous dedans 12 ». Chagallienne aussi, la manière dont Marc se voit par rapport à Jacques Et à vous, cher Jacques, merci de vos pensées si gracieusement sévères. Avec vous, on dirait, on est perché sur une échelle, en regardant patiemment et anxieusement la terre et de tout son corps se tendant vers tout 13 ». 8La guerre renforça l’intimité des deux couples. Installé à New York depuis 1940, Maritain participa au sauvetage des Chagall avec ses amis du Museum of Modern Art, et en liaison avec l’Emergency Rescue Committee représenté à Marseille par Varian Fry. Les Chagall échappèrent de justesse à la police de Vichy Marc fut pris dans une rafle et libéré par une intervention personnelle de Varian Fry et purent rallier Lisbonne d’où ils gagnèrent les États-Unis. Comme ils ne parlaient pas anglais, ils se replièrent sur leurs amis qui parlaient yiddish, russe ou français, ou les trois à la fois, comme Raïssa. 14 AK, 9 Chère Raïssa », lui écrit Marc le 13 novembre 1941, il nous semble revivre avec vous nos douces jeunes années 14 ». Raïssa rendit plusieurs fois visite aux exilés dans leur retraite de Cranberry Lake, dans le nord de l’État de New York. Mon cher petit Jacques », écrit Raïssa à son mari le 23 janvier 1942, Je t’envoie un autographe de Chagall. Le texte russe signifie Mon cher ami, nous avons bu, mangé, tout le temps parlé de vous, regardé vos photos, et de nouveau parlé de vous… Nous vous attendons. Je vous embrasse. Votre Chagall’. Nous avons passé avec eux une soirée très intime, savoureuse, réconfortante. Maintenant Chagall veut me prendre de face. Il est tout à fait amoureux de mon col de dentelle, celui qui est sur mon ancienne photo ». Et, en marge de la lettre, dressé d’un trait de plume, un autoportrait de Chagall.… Raïssa a publié à New York en 1943 Chagall ou l’Orage enchanté, qui comporte des reproductions. Pour la réédition, Chagall n’a pas demandé de droits d’auteur mais quelques exemplaires ; il en a renvoyé deux à Raïssa, après en avoir enrichi les pages de garde d’un dessin à la plume et d’une aquarelle. 15 Maritain est ambassadeur auprès du Saint-Siège de 1945 à 1948, Chagall ne rentre en France qu’en 19 ... 16 AK, 17 AK, 10La mort de Bella Chagall, en 1944, fut un grand navrement de cœur, puis les choses de la vie éloignèrent les amis15. Les relations se resserrèrent quand le peintre s’installa à Orgeval, près de Saint- Germain-en-Laye, mais elles s’espacèrent à nouveau quand il s’établit à Vence, où il ne semble pas que les Maritain se soient jamais rendus. Quelques billets témoignent cependant de la permanence de l’amitié Chaque visite de Jacques est comme un soleil qui demeure en moi, un calme, un sourire et un immense encouragement16 », ou encore Si je ne vous vois pas, je vous vois quand même17 ». Grand artiste pudique et pétri d’incertitude, Chagall demande son avis aux Mari- tain, et pas par politesse. À propos par exemple des eaux-fortes pour les Âmes Mortes de Gogol, les Fables de La Fontaine et la Bible 11 J’aimerais bien savoir ce que vous pensez, tous les trois [Chagall inclut Vera, la petite sœur de Raïssa et le complément obligé de la trinité maritainienne] … Moi, je tâche toujours de travailler – mais je ne veux pas vous ennuyer de mes paroles. Mon plus grand défaut est peut-être mon éternel doute […] ». Auquel fait écho ce billet du 15 avril 1953 Je travaille, comme toujours, c’est-à-dire sans savoir exactement où est le commencement et où est la fin, voilà ! ». À propos d’un projet de chapelle près de Vence, qui a du mal à aboutir, il écrit En attendant, je fais seulement des esquisses et je ne sais pas du tout si je pourrai réaliser cela ; si j’aurai la force de le faire. Vous me direz que j’ai toujours des doutes quand je commence quelque chose et c’est vrai. Comme vous me connaissez un peu, je n’ai pas la clarté latine et la clarté, s’il y en a, s’obtient, avec moi, avec beaucoup de corrections. C’est une clarté à ma manière toujours. Enfin, si je fais quelque chose, on verra… Ce dont je ne doute pas, c’est que j’aurai des critiques de tous côtés », et surtout, se plaint-il, de la part de ceux qui veulent découvrir […] ce qu’il y a dans mon âme. […] Il est vrai que je doute et que j’ignore moi-même, la seule chose que je sache c’est que je suis fidèle à quelque chose ; fidèle, bien sûr, à ma manière AK, 18 J. MARITAIN, Œuvres complètes [OC], vol. X, p. 267. 19 Ibid., p. 139. 12Ces billets – ils prennent rarement la taille d’une lettre – tendent à confirmer Maritain dans l’idée qui sous-tend son esthétique un grand peintre est une force qui va, il répond par son œuvre à une nécessité intérieure que les marchands, les mécènes, les commandes ne peuvent ni orienter ni circonscrire ; une nécessité qui dépasse le vouloir propre, les intentions claires et jusqu’aux forces physiques et morales du créateur qui, laissé à lui-même, coupé des sources secrètes de son inspiration, ne serait qu’un illustrateur aux ordres de ses commanditaires. Ce ne sont pas les marchands de tableaux ni les critiques d’art ni les collectionneurs mais les poètes modernes qui ont fait les peintres célèbres », écrit Maritain dans L’intuition créatrice dans l’art et dans la poésie 18. Le peintre n’est rien s’il n’est entrainé par le pinceau et la palette, instruments démiurgiques, au-delà des apparences naturelles des Choses » dans la quête désespérée » d’une réalité plus profonde, obscurément signifiée par les Choses … », mais dont lui ignore tout, et dont il doit se saisir énigmatiquement 19 ». II. Une esthétique de la forme 20 Livre issu des six leçons données en 1952 à la National Gallery of Art de Washington et publiées en ... 13Depuis Art et scolastique 1920 jusqu’à L’Intuition créatrice dans l’art et dans la poésie 1966 20, l’esthétique de Maritain se réfère à une métaphysique d’inspiration thomiste il existe au cœur de l’être des formes qui déterminent la matière et, ainsi, constituent et achèvent les choses ; elles en sont le secret ontologique ». Elles participent à la fois, en une sorte d’incarnation, de la transcendance et de l’immanence toute forme est un vestige ou un rayon de l’Intelligence créatrice imprimé au cœur de l’être créé ». C’est pour cela qu’elle est la source de la lumière et de la splendeur qui émanent des choses. La beauté est le resplendissement de la forme », une fulguration d’intelligence sur une matière intelligemment disposée ». Les choses sont belles parce que les formes qui les déterminent sont intelligibles. 21 J. MARITAIN, Art et Scolastique, 1920, p. 35-42. 14 L’intelligence jouit du beau parce qu’en lui elle se retrouve et se reconnaît 21 ». À partir de là il est possible de préciser le sens de quelques mots du vocabulaire esthétique de Maritain, qu’il emploie pour parler soit de l’art en général, soit de la peinture moderne, soit de Chagall en particulier. 22 Mais sans l’exclure, en l’envisageant comme une sorte d’accélérateur du processus de création. Dans ... 23 Art et scolastique, p. 35. Dans L’intuition créatrice dans l’art et la poésie, Maritain souligne qu ... 24 L’intuition créatrice dans l’art et dans la poésie, OC vol. X, p. 108. Chagall a été amené à Meudon ... 25 OC, vol. XV, p. 19. 26 J. MARITAIN Frontières de la Poésie et autres essais, Paris 1935, repris dans OC, vol. V, p. 699-70 ... 27 L’intuition créatrice dans l’art et dans la poésie, OC, vol. X, p. 140. 28 Je pense que Chagall est aujourd’hui le grand maître de l’image illuminatrice […] Avoir mis la ma ... 29 New York mars-avril 1958, in OC, XV, p. 809. 15Lorsqu’il évoque un art contemplatif, il pense moins à un élan mystique22 qu’à l’activité d’une intelligence qui trouve du bonheur à éprouver sa connaturalité avec l’Intelligence divine. Dans la contemplation du beau artistique, l’intelligence […] boit la clarté de l’être, […] elle est irradiée par une lumière intelligible qui lui est donné d’un coup23 ». Mais si la contemplation est à l’origine de l’acte créateur, encore faut-il que l’artiste soit actif, doublement actif ; par son savoir-faire d’artifex, bien sûr, mais cela ne suffit pas La poésie n’est pas seulement dans l’art du poète ; elle est aussi dans l’âme des choses », c’est-à-dire dans leur forme. Pour la reconnaître et s’en emparer, le peintre doit être lui-même poète ou devin, deux termes équivalents pour Maritain qui définit la création poétique et artistique comme une sorte de divination », rappelle que le vates latin était à la fois un poète et un devin » et considère que le peintre […] n’est plus rien s’il manque de vision poétique24 ». Dans le prière d’insérer de Chagall ou l’orage enchanté, Jacques évoque la poésie essentielle » du peintre, tandis que, selon Raïssa, la poésie est la grande animatrice […] de l’œuvre de Chagall 25 ». Là encore un terme très général est pris dans un sens métaphysique précis la poésie est une divination du spirituel dans le sensible»26, c’est-à-dire de la forme dans les choses. Chagall est de ceux qui saisissent et dévoilent ces mystères enfouis, ces formes qui resplendissent, sans doute, mais seulement pour ceux qui ont l’intelligence de les voir puis le génie de les recréer en une construction de lignes et de couleurs27 », une image illuminatrice28 » qui la rende intelligible à tous. Dans la présentation en anglais du catalogue de l’exposition Chagall à la galerie Chalette29, Maritain insiste sur la dimension initiatique de l’art chagallien dont la beauté tient à la manifestation d’une connaissance mystérieuse ». Par le dévoilement des mystères et leur recomposition picturale, l’artiste recrée la nature, il la change non seulement matériellement et du dehors, mais aussi du dedans » et réalise ainsi un analogue de la création divine. 30 R. MARITAIN, Chagall ou l’orage enchanté, p. 22. 31 L’artiste-poète selon Maritain est bien un devin, et non pas un messager. L’interprétation de Chaga ... 16C’est en ce sens que la peinture peut être définie comme religieuse, indépendamment du thème choisi. La matière première du peintre n’est pas une chose mais le reflet de l’Intelligence créatrice dans la chose. Un paysage, un animal, un personnage de cirque peuvent être, comme chez Rouault, aussi religieux que la représentation d’un prophète ou du Christ en croix. Et cela quelles que soient les convictions et même les intentions explicites de l’artiste. Chagall peut bien ne professer aucune religion dogmatique30 », cela ne concerne en rien le caractère religieux de son œuvre. Ce point de vue était partagé par le dominicain Marie-Alain Couturier quand il a demandé à Chagall de participer au décor de l’église d’Assy31. 32 MARITAIN L’intuition créatrice dans l’art et dans la poésie, OC vol. X, p. 108. 33 Ibid, p. 107. 17Si, dans la divination poétique, l’intelligence joue un rôle aussi important que l’imagination32 », la création artistique ne se résume pas à une réception contemplative de ce que cachent les choses. Le dévoilement des mystères résulte d’une intercommunion » active entre l’être intérieur des choses et l’être intérieur du Soi humain33 ». 34 R. MARITAIN, Chagall ou l’orage enchanté, vol. XV p. 30. 35 MARITAIN, L’intuition créatrice, p. 137-138. Outre Chagall, Maritain cite Cézanne, Rouault, Van Gog ... 36 MARITAIN, Eaux-fortes de Chagall pour la Bible », Cahiers d’Art, 9e année 1934, p. 84, repris i ... 37 Cf. R. DESNOS, Chagall », Le Roseau d’or, 9, quatrième série, Plon 1930, p. 133. Maritain considè ... 38 Ce que confirme J. Maritain la saisie simultanée des choses et du Soi se fait par une expérience ... 39 R. MARITAIN, OC vol. XV, p. 810. 40 MARITAIN, p. 141, et R. MARITAIN, OC vol. XV, p. 773. 18 Sous la poussée de son monde intérieur34 », Chagall transpose les formes naturelles, créées par Dieu, jusqu’à faire surgir des formes nouvelles mystérieusement apparentées aux formes naturelles ». Les formes et leur messages sans fin sont saisis dans et par l’éveil … de la subjectivité créatrice à elle-même », ce qui permet d’accomplir un acte de communion spirituelle avec les choses » et de les refondre dans une nouvelle structure visible. C’est l’affirmation de cette subjectivité créatrice qui caractérise la grande époque de la peinture moderne35 ». Chagall demande peu à la nature … et beaucoup à soi-même 36 ». Après être allé dans l’inconnu pour y chercher les mystères, il les abstrait de la réalité et les transporte par une démarche que Jacques et Raïssa qualifient volontiers, à la suite de Robert Desnos, de surréaliste 37 ». Raïssa, dans Chagall et l’orage enchanté, affirme qu’il est le premier surréaliste par une donnée immédiate de sa conscience d’artiste », même s’il n’a jamais défini, sinon dans son propre mouvement créateur, le sens de ce mot38 ». Comme poésie, surréalisme n’est pas pris dans son sens commun mais désigne le peintre qui, grâce à la libération de son moi intérieur39 », crée un univers de formes beaucoup plus vaste que le réel ». Chagall ne fuit pas les formes naturelles » mais il les transforme, les transfigure, dégage et abstrait d’elles leur propre surréalité 40 ». La subjectivité créatrice, avec l’idée que l’intérieur des choses et le Soi de l’artiste se sont manifestés ensemble, l’un par l’autre, l’un grâce à l’autre, intro- duit ou réintroduit l’histoire propre de Chagall dans la perception de son œuvre, en enracinant celle-ci dans une histoire et dans une mémoire. III. La danse du roi David 41 J. MARITAIN, Chagall », Sélection, Cahier n° 6, repris dans Frontières de la poésie et autres ess ... 19Dans la mesure où le monde intérieur de l’artiste joue un rôle décisif dans la manière dont il rend visible le mystère des choses, Jacques et Raïssa n’ont pas manqué de souligner la judéité de Chagall. Dans le premier texte qu’il lui consacre, en 192941, Jacques détaille tout ce que le peintre doit à son enfance et à sa jeunesse passée dans la communauté juive de Vitebsk puis de Moscou Pitié, mélancolie, hantise du départ et perpétuelle errance, chant de la pauvreté et de l’espérance, c’est la poésie même de l’esprit juif qui nous émeut si profondément dans ces rabbins miraculeux, comme les merveilles de mobilité aérienne et de vérité féérique qui jaillissent du monde de formes et de couleurs inventé par lui pour le théâtre yiddish de Moscou. 42 Cahiers d’Art, 9e année, 1934, p. 84 – texte repris aussi dans Frontières de la poésie. 43 OC vol. VIII, p. 975. 44 OC vol. X, p. 198-200. 45 Chagall ou l’orage enchanté, OC vol. XV p. 17-44. 46 N° 11-12, juillet août 1950. 20Dans son essai intitulé Eaux fortes de Chagall pour la Bible 42, Jacques découvre dans les quarante-deux gravures exécutées pour illustrer la Genèse des modulations voilées comme les chants de la Synagogue. … Plus juif que jamais, Chagall retrouve ici … quelque chose de la grave et naïve inspiration médiévale ». En 1944, aux obsèques de Bella Chagall, il remercie le couple d’avoir donné à la France, la poésie de l’âme juive dans sa substance la plus profonde 43 ». Il en va ainsi jusqu’à L’Intuition créatrice dans l’art et la poésie, où Jacques compare Rouault et Chagall Tous deux sont de vrais primitifs, bien que d’une manière tout à fait différente, car l’inspiration de Rouault est proche de celle de l’art roman, tandis que Chagall s’enracine dans une tradition juive séculaire44 ». Et il cite à ce propos le texte de Raïssa, Chagall ou l’orage enchanté, où celle-ci retrouve dans les tableaux de Chagall la danse du roi David et celle des Hassidim. La joie tendre, spirituelle, qui imprime son œuvre est née avec lui à Vitebsk, en terre russe, en terre juive », avec le senti- ment tragique de la fragilité de la vie, la mémoire des souffrances passées, le sentiment prophétique des douleurs inimaginables » qui attendent le peuple juif – allusion à la Crucifixion blanche de 1938, peinte alors que l’antisémitisme faisait déjà sévir en Allemagne une atroce persécution ». Raïssa se souvient de la solennité bien rare chez lui » avec laquelle il lui a montré pour la première fois ce tableau avec un sentiment profond de l’importance de l’œuvre ». Elle souligne aussi l’empreinte du hassidisme dans l’œuvre de Chagall, celle d’une communauté dont l’âme ne s’est pas livrée au monde profane, mais s’est baignée chaque jour dans l’eau vive de l’Écriture. … Les Juifs dans l’œuvre de Chagall sont aussi, dans la transposition et l’abstraction de l’art, une image impérissable d’Israël45 ». Raïssa conclut qu’il serait impossible de comprendre le peintre sans cette connaissance profonde, instinctive, de l’âme de son peuple ». Elle reprend ce thème dans l’article qu’elle a donné à Marie-Alain Couturier en 1950 pour la revue L’Art sacré 46 La joie émerveillée qui imprègne son œuvre est née avec lui à Vitebsk », joie pénétrée de mélancolie, traversée de l’aiguillon de la nostalgie et de la difficile espérance ; elle porte en elle le sentiment tragique de sa fragilité et de sa mort. […] c’est parce que Chagall est si près de son peuple que son art surréel est si parfaitement vrai ». 47 En 1930 la commande de Vollard pour l’illustrer l’Ancien Testament renforce son désir de visiter la ... 48 Cité par G. SCHMITT-REHLINGER, Jésus Christ dans l’œuvre de Marc Chagall, Metz 2006, p. 171. 21On peut difficilement reprocher aux Maritain d’avoir ignoré la part juive de Chagall, que celui-ci réaffirme vigoureusement dans les années 193047 et surtout à partir de 1948, après le génocide qui a détruit le monde de son enfance. Sa fidélité au peuple juif se double alors d’un engagement en faveur de l’État d’Israël. Avant de réaliser le Passage de la Mer rouge pour l’église d’Assy, il demande l’avis du président d’Israël, Chaïm Weizmann, auquel il écrit If I decide to decor this chapel I would not want the people of Israël to think that my heart or mind – not to speak of my art – have anything in common with non-Judaism. With my ancestors I shall always be bound to my people ». Et il dit sa réticence à travailler pour une église catholique at a time when the Vatican is not favourably disposed to Israël », une réticence qui va au-delà des lieux de culte I refused my friend Jacques Maritain’s request to donate to the Vatican’s Museum of modern Art ». Réticence qui s’étend à l’Allemagne mais aussi à la Grande-Bretagne at a time when British Policy was unfavorable to our interest 48 ». Rien de confessionnel, encore moins de doctrinal dans cet attachement profond, charnel, à un peuple, à une culture et, désormais, à un État. Les réticences vis-à-vis du Saint-Siège s’effacent à mesure que son opposition à l’État d’Israël s’atténue. Dans une lettre à Maritain du 5 novembre 1957, Chagall est d’accord pour figurer dans les collections du Vatican, à condition qu’on le lui demande. 49 Lors des obsèques de Bella, en septembre 1944, Maritain évoque devant Marc Chagall le Dieu des Pa ... 50 R. MARITAIN, Chagall et l’orage enchanté, OC XV p. 22, Jacques Maritain aux obsèques de Bella », ... 51 AK, 15 avril 1955. Ce projet est à l’origine du Musée national Message biblique de Nice. 22Mais son art peut-il être qualifié, à la fois, de juif et de religieux ? Religieux, certainement. Juif, au sens dogmatique et rituel du terme, non. Pour des raisons accidentelles, d’abord il semble évident pour les Maritain que si Chagall est croyant49, il ne professe […] aucune religion dogmatique » et, pas plus que Bella, il ne se rattache à aucune forme définie de culte50 ». Chagall n’a jamais dit le contraire. S’il a montré du respect pour les religions instituées, il n’a pas jugé utile de trop distinguer entre les clergés et les rites. Chagall, c’est d’abord une générosité et un humanisme qui se manifestent bien dans cette lettre à Maritain à propos d’un projet de chapelles œcuméniques Depuis des années je pense à ces chapelles abandonnées, du 17e siècle, que la Municipalité [de Vence] a l’intention de me proposer de faire. Dans mon imagination, ce sont des chapelles-musées dans lesquelles, si j’avais la force de les faire, vous-même pourriez faire des conférences. On pourrait aussi y donner des concerts et y écouter du Bach ou même Stravinsky… ou un prêtre ou un rabbin pourraient faire leur sermon, s’ils le voulaient 51 ». 23Chagall, fermement attaché au peuple juif et à sa mémoire, n’est pas un Juif religieux. Mais selon l’esthétique maritainienne, cela est accessoire. Chagall eût-il été un pratiquant fidèle, son art n’aurait pas revêtu pour autant de caractère confessionnel précis. Et cela pour une raison essentielle pour Maritain il ne peut pas y avoir d’art religieux confessionnel. Le caractère religieux d’une œuvre ne doit rien à son thème, ni à son usage, ni à l’endroit où elle se trouve exposée. Il doit tout au processus de la création. La saisie des formes dans les choses et leur reconstruction dans de nouvelles structures visibles, selon une logique et un fonctionnement propres à l’image, définissent un rapport aux choses qui exclut la subordination de l’image aux mots, la réduction de l’image à illustrer les mots, que ceux-ci forment une histoire des origines, un mythe fondateur, une doctrine de salut, un commentaire de la doctrine ou sa réduction à des fins pédagogiques. Chagall n’illustre pas l’Ancien ou le Nouveau Testament, il les recrée à sa manière, qui est celle de la poésie. Il est toujours possible de ramener telle ou telle de ses œuvres à une illustration de la Bible ; mais c’est la faire tomber, par contresens, au dernier étage de la hiérarchie maritainienne, celle de l’art sacré de commande, ou, pour reprendre un langage qui fleure l’administration, pour ne pas dire le bureau postal l’art sacré par destination. Pour Maritain l’ image illuminatrice » ne s’oppose sans doute pas au discours confessionnel ; mais en tant qu’œuvre d’art elle s’affirme dans une autonomie absolue. Voilà semble-t-il comment il faut interpréter le texte de 1934 consacré aux Eaux fortes de Chagall pour la Bible, qui définit de manière durable le point de vue de Maritain, mais qui lui a été parfois reproché 52 OC vol. V, p. 776. Sur le rapport à la poésie Maritain reprend ce que Chagall disait lui-même Je ... Chagall, dans ses eaux-fortes, n’a pas voulu être juif, je suppose qu’il ne sait même pas exactement quelle dogmatique juive ou chrétienne l’Ancien Testament … nous propose. C’est la poésie de la Bible qu’il a écoutée, c’est elle qu’il a voulu rendre …. Je me reprocherais de sembler solliciter dans un sens quelconque un art qui n’est ainsi religieux que, pour ainsi parler, malgré lui. Il l’est cependant, du moins selon l’aspiration la plus informulée. Et il m’est bien permis de remarquer que précisément parce qu’il n’a rien cherché ni voulu dans ce sens, le monde plastique de la Bible de Chagall, si profondément et douloureusement terrestre, non délivré encore, et comme tâtonnant dans une nuit sacré, témoigne sans le savoir de la valeur figurative du grand lyrisme d’Israël 52. 53 La Bible illustrée par Marc Chagall 1887-1985 un dialogue interculturel et son évolution, Paris ... 24Dans une thèse récente 53, Chan Young Park semble avoir vu dans cette approche une volonté abusive de mettre Chagall hors de l’espace et du temps, peut-être dans le but de le mieux récupérer. Cette interprétation ne prend en compte ni l’esthétique de Maritain, ni son appréciation de la judéité profonde de Chagall et le rôle essentiel de celle-ci dans la subjectivité créatrice » du peintre. Il semble aussi que l’humanisme moderne et œcuménique de Chagall soit difficile à comprendre dans une postmodernité marquée par des replis identitaires qui reconstituent parfois la confusion du culturel et du religieux. On pourrait alors objecter la tendance de Raïssa à christianiser certaines œuvres de Chagall. Cette tendance est fondée sur son expérience personnelle. Elle considère non seulement qu’il existe un lien étroit entre le judaïsme et le christianisme, mais aussi que la conversion d’un Juif au christianisme ne signifie pas un rejet mais un développement du judaïsme. À propos de sa propre conversion, elle écrit 54 R. MARITAIN, “Récit de ma conversion” rédigé en 1909, Cahiers Jacques Maritain, n° 7-8 1983, p. ... 55 Dans l’article sur Chagall qu’elle publie dans la revue L’Art Sacré en 1950, elle s’appuie sur la C ... 56 N° 11-12, juillet 1950, p. 26-30. 57 Cette thèse est reprise par S. ALEXANDER, Marc Chagall An Intimate Biography, Paragon House Publi ... 58 Chez Maritain, l’identification des souffrances des Juifs à la passion du Christ est très rare. Dan ... 25 Là où j’aurais craint de trouver lutte et opposition, je ne vis, à ma grande joie, qu’unité, continuité, harmonie parfaite54 ». C’est dans cette perspective qu’elle reconnaît le Christ dans la figure centrale de la Crucifixion blanche et d’autres œuvres majeurs 55. Cette tendance, déjà visible dans Chagall ou l’orage enchanté, en 1943, s’affirme dans la revue L’Art Sacré en 195056. Raïssa, qui voit dans les Christ en Croix » de Chagall les œuvres où les caractères permanents de son art apparaissent avec le plus d’évidence et atteignent à la plénitude de leur signification », évoque à propos de la Crucifixion blanche la compassion du peintre » qui unit la Passion du Christ à celle du Peuple Élu ». Dans chacun de ce qu’elle appelle ses tableaux chrétiens », Chagall aurait montré l’indissoluble union des deux Testaments. L’Ancien annonçant le Nouveau, et le Nouveau l’accomplissant ». Pour Raïssa, le Chagall des années 1938-1947 ne peint pas le Juif en Christ, mais le Christ en Juif 57. Cette interprétation semble difficile à soutenir. Mais elle ne doit rien à un refus de situer le peintre dans un temps et une époque précises, la culture de la Yiddishkeit et la mémoire des shtetlekh hassidiques de Biélorussie. Surtout, elle n’est pas fondée sur l’esthétique de Jacques Maritain ni sur la métaphysique qui la sous-tend 58. Jacques et Raïssa formaient sans doute une couple fusionnel, mais pas au point de penser et sentir toujours exactement de la même manière. D’Art et scolastique jusqu’à L’intuition créatrice, l’artiste est religieux quand il saisit les traces de Dieu dans les choses, et les recompose selon les lois propres de l’image, en toute autonomie par rapport aux lois de l’église, du temple ou de la synagogue. Autonomie qui, répétons-le, ne signifie pas opposition. Mais l’esthétique de Maritain, qui est d’abord une poétique, fait de l’artiste religieux un devin et de son œuvre un analogue de la création divine. Ce qui ne favorise guère l’idée d’une subordination de l’art aux gestes d’un culte, aux mots d’un credo et aux espérances d’une révélation. Au bon catholique Marek Szwarc, illustrateur attentif des exigences liturgiques et des énoncés dogmatiques, Jacques Maritain préféra toujours les énigmes chagalliennes, quitte à admettre que bien souvent Chagall était religieux sans le savoir. 59 My disc of gold. Itineray to Christ, p. II. 60 Et aussi la Stephankirche de Mayence, la chapelle des Cordeliers de Sarrebourg, la chapelle Notre-D ... 26Aujourd’hui, cette définition de l’art religieux peut étonner. Il faut rappeler qu’au moment où Maritain l’énonce, c’est-à-dire entre les années vingt et les années soixante, il en veut beaucoup aux clercs d’avoir fermé les lieux de culte aux artistes qu’il aime. Dans l’introduction qu’il a donnée en 1961 à My disc of gold du peintre américain William Congdon, il espère qu’un jour Congdon will reach the precincts of sacred painting and ecclesiastical commissioning ». C’est pour ajouter aussitôt qu’il s’agit là d’un privilège that Rouault almost never had59 ». Almost », à cause des trois vitraux de l’église du plateau d’Assy, glorieuses exceptions. On ne saurait comprendre l’attitude de Maritain si on la dissociait des combats, des réussites mais aussi des échecs, des déconvenues et des amertumes de son ami Marie-Alain Couturier. Aujourd’hui, alors que les vitraux de Chagall ornent les cathédrales de Metz et de Reims60, cette attitude peut sembler, d’un point de vue historique, quelque peu dépassée. 27Autre sujet d’étonnement l’usage, ou plutôt le non-usage que Maritain fait du mot sacré, réduit à peu de choses, à une affaire de commissions ecclésiastiques ou de conservateurs du patrimoine. Il y aurait une étude à faire sur la défiance de toute une génération d’intellectuels catholiques envers ce concept de sacré, jugé païen ou relativiste, alors même qu’il envahissait l’anthropologie culturelle. Art et scolastique paraît huit ans après Les Formes élémentaires de la vie religieuse de Durkheim et peut à certains égards en être considéré comme l’antidote. Mais que se passerait-il si l’on appliquait à la conception maritainienne de Chagall l’idée de sacré telle que la développe non pas Durkheim – l’écart serait tout de même trop grand – mais Roger Caillois, qui rompit avec le surréalisme en 1935 et publia L’homme et le sacré en 1939 ? Pour Caillois, le sacré nait de la rencontre d’au moins deux univers hétérogènes, mais qui comportent cependant assez d’analogie pour que la rencontre, ou le passage, soit possible. Selon Maritain, le peintre-poète, par la divination du spirituel dans le sensible, entre en contact avec des formes qui relèvent à la fois de la transcendance et de l’immanence, puisqu’elles sont l’empreinte de Dieu dans les choses. Et il se les approprie. De manière au moins formelle, cette expérience ne s’approche t-elle pas de ce que Caillois appelle le sacré ? Pourrait-on lire Maritain en mettant sacré là où il dit religieux, et vice-versa ? Oui, en identifiant l’hétérogénéité et la transcendance, c’est-à-dire en évacuant ce qui fonde toute l’œuvre de Maritain, sa métaphysique. Il faut s’y résoudre le philosophe de Meudon peut nous aider à définir un art religieux, certainement pas un art sacré, et encore moins les traces du sacré dans l’art contemporain. Seitenanfang Anmerkungen 1 Jésus le Christ dans l’œuvre de Chagall, sous la direction de Pierre-Marie Beaude, Université de Metz, 2006. Le texte intégral de la thèse et le volume d’annexes iconographiques peuvent être téléchargés à partir du site de l’École Doctorale de l’université Paul Verlaine de Metz. La Crucifixion Blanche peut être vue sur le site de l’institution qui la conserve, l’Art Institute de Chicago 2 105 eaux-fortes de 1931 à 1939, dont 39 planches reprises et achevées de 1952 à 1956. 3 C’est au plus tard en 1950, selon l’article publié par Raïssa Maritain dans la revue L’Art Sacré n° 11-12, juillet 1950, qu’à la demande de Couturier Chagall élabore le projet d’une céramique murale monumentale pour l’église de Notre-Dame de Toute Grâce d’Assy ; il s’agit d’un Passage de la mer Rouge assorti de deux bas-reliefs en marbre blanc et deux vitraux aux teintes douces, destinés à matérialiser les rites et les symboles du baptême. L’œuvre n’est installée qu’en 1957. Deux ans plus tard Chagall accepte de réaliser sa seconde œuvre d’église », les cartons des vitraux de deux baies du déambulatoire nord de la cathédrale de Metz. 4 Dans Grace, Necessity and Imagination Catholic Philosophy and the Twentieth Century Artist, conférence prononcée en 2005 dans le cadre des Clarke Lectures de Trinity College, Cambridge, publiée en anglais sous le titre Grace And Necessity Reflections on Art and Love – et en français sous le titre L’artiste et la grâce. 5 . My disc of gold. Itineray to Christ, Reynal & Company, New York, p. II. 6 Selon M. DUVAUCHEL, L’esthétique oubliée de Jacques Maritain, un chemin de poésie et de raison, Publibook, Collection Sciences Humaines et Sociales, 2009. 7 Dont Stravinsky, qui reprend l’esthétique maritainienne dans sa Poétique musicale de 1945. 8 Le futur cardinal Charles Journet – Sur un chemin de croix de Marek Szwarc », Nova et Vetera 1 1932 44 – et le peintre Jean Bazaine – L’exposition Marek Szwarc », Esprit Mai 1934 p. 339 – se montrèrent plus sensibles que Maritain au talent de Marek Szwarc. 9 Georges Rouault peintre et lithographe, album orné de quatre lithographies originales timbrées, signées et numérotées Le Pitre, L’Ecuyère, Parade, Fille, publié chez E. Frapier, éditeur, 1926. Maritain y exprime des idées que l’on va retrouver avec Chagall la peinture de Rouault tire sa vie de l’univers intime de l’âme, des profondeurs de la vision intérieure et de l’intuition poétique, saisissant obscurément, dans l’émotion, à la fois la subjectivité du peintre et le mystère du monde visible. » 10 Archives du Cercle d’Études Jacques et Raïssa Maritain de Kolbsheim [AK], 2 juin 1929. 11 Non daté, mais envoyé de Jérusalem, donc en 1931, archives de Kolbsheim. 12 25 mai 1932, archives de Kolbsheim. Fin 1929, les Chagall ont déménagé et acheté une maison près de la Porte d’Auteuil, au 15 de l’avenue des Sycomores, dans la villa Montmorency. 13 AK, 14 AK, 15 Maritain est ambassadeur auprès du Saint-Siège de 1945 à 1948, Chagall ne rentre en France qu’en 1948. 16 AK, 17 AK, 18 J. MARITAIN, Œuvres complètes [OC], vol. X, p. 267. 19 Ibid., p. 139. 20 Livre issu des six leçons données en 1952 à la National Gallery of Art de Washington et publiées en anglais en 1953 sous le titre Creative intuition in Art and Poetry. 21 J. MARITAIN, Art et Scolastique, 1920, p. 35-42. 22 Mais sans l’exclure, en l’envisageant comme une sorte d’accélérateur du processus de création. Dans Chagall ou l’orage enchanté [Texte achevé à New York en décembre 1942, publié en 1943, réédité à Genève en 1948 et à Paris en 1965, OC vol. XV], Raïssa affirme que Chagall s’étonnait que l’on puisse concevoir un art sans mysticisme – mais qu’entendait-il par là ? 23 Art et scolastique, p. 35. Dans L’intuition créatrice dans l’art et la poésie, Maritain souligne que le procès intellectuel » qui est à la racine de l’acte créateur est évidemment sans parallèle à la raison logique » le degré d’intellectualité supérieure » auquel atteint le contemplatif est bien une saisie immédiate, intuitive, et non un cheminement discursif OC, vol. X, p. 146. 24 L’intuition créatrice dans l’art et dans la poésie, OC vol. X, p. 108. Chagall a été amené à Meudon par des poètes, et Maritain aime à rappeler que tous les grands peintres de l’époque avaient leur poète, Max Jacob pour Picasso, Pierre Reverdy pour Braque, Apollinaire pour Chagall L’intuition créatrice, p. 267. 25 OC, vol. XV, p. 19. 26 J. MARITAIN Frontières de la Poésie et autres essais, Paris 1935, repris dans OC, vol. V, p. 699-700. La formule se retrouve dans Poetic Experience », The Review of Politics, vol. 6, No. 4, pp. 387-402, October 1944, elle est reprise par Raïssa dans son Chagall ou l’orage enchanté et par Jacques dans L’intuition créatrice. 27 L’intuition créatrice dans l’art et dans la poésie, OC, vol. X, p. 140. 28 Je pense que Chagall est aujourd’hui le grand maître de l’image illuminatrice […] Avoir mis la main sur ce bien propre des poètes est une conquêtes authentiques de la peinture moderne », MARITAIN in L’intuition créatrice, p. 267 et 380. 29 New York mars-avril 1958, in OC, XV, p. 809. 30 R. MARITAIN, Chagall ou l’orage enchanté, p. 22. 31 L’artiste-poète selon Maritain est bien un devin, et non pas un messager. L’interprétation de Chagall comme messager se retrouve chez plusieurs critiques, dont FORAY qui écrit [Chagall dans une nouvelle lumière, Stiftung Frieder Burda, Baden-Baden 2006, p. 188], à propos de l’enthousiasme avec lequel Chagall a accepté la proposition d’Ambroise Vollard d’illustrer la Bible, que cet enthousiasme … tient à la conception que Chagall se fait de l’artiste. Dans L’apparition de 1917- 1918 [Autoportrait avec la muse, Musée d’Etat russe, Saint-Pétersbourg], le motif classique de l’Annonciation est réinterprété la muse qui apparaît à l’artiste est un ange avec les ailes et la main levée dans l’attitude du Gabriel de l’iconographie classique c’est même très exactement, inversée, l’attitude de l’ange de l’Annonciation du Greco du musée des Beaux-Arts de Budapest. Cette peinture, avec sa forte construction opposant deux zones du tableau le terrestre et le céleste est plus qu’une œuvre profane sur le thème de l’inspiration de l’artiste l’ange est le messager, non de ce qui doit advenir dans le tableau, mais de la source divine de l’inspiration. De sorte que le peintre, qui a reçu cette révélation, devient à son tour un messager ». En servant de contact entre deux mondes hétérogènes, l’artiste-messager revêt un caractère non pas religieux mais sacré. On ne retrouve rien de pareil chez Maritain. 32 MARITAIN L’intuition créatrice dans l’art et dans la poésie, OC vol. X, p. 108. 33 Ibid, p. 107. 34 R. MARITAIN, Chagall ou l’orage enchanté, vol. XV p. 30. 35 MARITAIN, L’intuition créatrice, p. 137-138. Outre Chagall, Maritain cite Cézanne, Rouault, Van Gogh et Braque pour illustrer cette puissante pénétration des choses visibles de par la manifestation simultanée du Soi créateur du peintre et des significations occultes saisies par lui dans la réalité ». 36 MARITAIN, Eaux-fortes de Chagall pour la Bible », Cahiers d’Art, 9e année 1934, p. 84, repris in OC, vol. V, p. 774. 37 Cf. R. DESNOS, Chagall », Le Roseau d’or, 9, quatrième série, Plon 1930, p. 133. Maritain considère que Chagall est le premier surréaliste’ véritable », mais avec des guillemets OC X p. 205. 38 Ce que confirme J. Maritain la saisie simultanée des choses et du Soi se fait par une expérience qui n’a pas d’expression conceptuelle et n’est exprimée que dans l’œuvre de l’artiste » – MARITAIN, OC vol. X, p. 144-145. 39 R. MARITAIN, OC vol. XV, p. 810. 40 MARITAIN, p. 141, et R. MARITAIN, OC vol. XV, p. 773. 41 J. MARITAIN, Chagall », Sélection, Cahier n° 6, repris dans Frontières de la poésie et autres essais en 1935, OC vol. V, p. 774. 42 Cahiers d’Art, 9e année, 1934, p. 84 – texte repris aussi dans Frontières de la poésie. 43 OC vol. VIII, p. 975. 44 OC vol. X, p. 198-200. 45 Chagall ou l’orage enchanté, OC vol. XV p. 17-44. 46 N° 11-12, juillet août 1950. 47 En 1930 la commande de Vollard pour l’illustrer l’Ancien Testament renforce son désir de visiter la Palestine, le pays de la Bible ; il s’y rend effectivement en 1931. 48 Cité par G. SCHMITT-REHLINGER, Jésus Christ dans l’œuvre de Marc Chagall, Metz 2006, p. 171. 49 Lors des obsèques de Bella, en septembre 1944, Maritain évoque devant Marc Chagall le Dieu des Patriarches et des Prophètes, en lequel vous croyez et en lequel elle croyait », OC vol. VIII, p. 975. 50 R. MARITAIN, Chagall et l’orage enchanté, OC XV p. 22, Jacques Maritain aux obsèques de Bella », et MARITAIN, Eaux fortes de Chagall pour la Bible, OC V p. 774. 51 AK, 15 avril 1955. Ce projet est à l’origine du Musée national Message biblique de Nice. 52 OC vol. V, p. 776. Sur le rapport à la poésie Maritain reprend ce que Chagall disait lui-même Je ne voyais pas la Bible, je la rêvais » et il anticipe sur plusieurs critique contemporains Chagall aime lire la Bible dans laquelle il trouve une source inépuisable de poésie’ […] Les histoires des patriarches et des prophètes […] l’intéressaient d’ailleurs moins pour leur sens spécifiquement religieux que pour leur capacité à générer tout un monde d’images ». FORAY, Chagall dans une nouvelle lumière, Stiftung Frider Burda, Baden-Baden 2006, p. 188. 53 La Bible illustrée par Marc Chagall 1887-1985 un dialogue interculturel et son évolution, Paris IV – Sorbonne, décembre 2008. 54 R. MARITAIN, “Récit de ma conversion” rédigé en 1909, Cahiers Jacques Maritain, n° 7-8 1983, p. 77. 55 Dans l’article sur Chagall qu’elle publie dans la revue L’Art Sacré en 1950, elle s’appuie sur la Crucifixion blanche de 1938 – qu’elle considère comme la première représentation du Christ par Chagall – mais aussi le Martyr de 1939, l’Obsession et la Crucifixion jaune de 1943, la Chute de l’ange achevée en 1947, l’Ange et le Christ de 1945, et la Descente de Croix de 1947. Elle précise Chagall a sans doute peint d’autres fois le figure du Christ. Je parle ici de ce que j’ai vu » – L’Art Sacré, n° 11-12, juillet 1950, p. 30. 56 N° 11-12, juillet 1950, p. 26-30. 57 Cette thèse est reprise par S. ALEXANDER, Marc Chagall An Intimate Biography, Paragon House Publishers, New-York 1988 quand Chagall dessine une crucifixion à l’arrière-plan du Songe de Jacob et de la création de l’homme, il suggère au spectateur la réalisation chrétienne d’une prophétie vétérotestamentaire » cité par SCHMITT- REHLINGER, p. 59. 58 Chez Maritain, l’identification des souffrances des Juifs à la passion du Christ est très rare. Dans l’article qu’il a publié en 2004 dans la revue de l’Amitié judéo-chrétienne, Yves Chevalier n’en trouve trace que dans le message radiodiffusé du 5 janvier 1944, où l’extermination des Juifs par les nazis, définie comme la passion d’Israël », a quelque chose de mystérieusement analogue avec la crucifixion. De nos jours, la passion d’Israël prend de plus en plus distinctement la forme de la croix ». Ce message a peu à voir avec les grands textes de Maritain, comme L’impossible antisémitisme 1937 où il souligne la finalité propre d’Israël comme peuple de Dieu. Cf. Y. CHEVALIER, Le combat de Jacques Maritain contre l’antisémitisme », Sens [revue de l’Amitié judéo-chrétienne de France] no 8 août 2004, pp. 419-440. Voir aussi la préface que P. VIDAL-NAQUET donné à la réédition de l’Impossible antisémitisme, Jacques Maritain et les juifs », Desclée de Brouwer 1994, rééd. 2003. 59 My disc of gold. Itineray to Christ, p. II. 60 Et aussi la Stephankirche de Mayence, la chapelle des Cordeliers de Sarrebourg, la chapelle Notre-Dame du Saillant, la Fraumünster Kirche de Zurich, la All Saints Church de Tudeley, l’Union Church de Pocantico Hills, la synagogue de l’hôpital Hadassah de Jérusalem…Seitenanfang Zitierempfehlung Papierversionen Régis Ladous, „Marc Chagall et les Maritain“, Revue des sciences religieuses, 84/4 2010, 545-560. Online-Version Régis Ladous, „Marc Chagall et les Maritain“, Revue des sciences religieuses [Online], 84/4 2010, Online erschienen am 01 Dezember 2015, abgerufen am 29 August 2022. URL DOI

texte de jacques prévert sur le temps qui passe